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France... Car je l’ai dit! Ce qui devrait nous faire saigner le cœur, si le naturel de notre nation pouvait s’épuiser jamais, ce serait une disette d’imagination comique; et ce qui serait honteux pour la France, à la veille de cette catastrophe, serait que la gaîté d’un auteur ne trouvât dans le public ni écho ni récompense. » — Grâce à Dieu ! nous n’en sommes pas là : si bien que M. Meilhac sache rire, il ne rit pas le dernier !

Après Sainte-Beuve, citerai-je l’autorité d’un critique moins complaisant? Voici un docteur de la loi, le plus intègre, jusqu’à notre génération, des successeurs de Gustave Planche; on ne connaît guère de goût plus pur, d’esprit plus élevé que le sien; il se permet, seulement, d’être indépendant, « exempt de sots dédains, » comme il veut que soient les auteurs eux-mêmes. Eh bien ! à cette place, il y a vingt-huit ans, M. Emile Montégut signalait aux amateurs une des premières petites pièces de M. Meilhac; et ce grave témoin ne craignait pas d’écrire: « Si la grande comédie a chance de revivre, elle sortira de la farce parisienne ; car il y a de nos jours, qu’on ne s’y trompe pas, une farce parisienne, comme il y eut au XVIIe siècle une farce italienne... Vous trouvez que cette origine n’est pas assez noble pour la comédie ; mais vous oubliez que le théâtre de Molière n’en a pas eu d’autre : la comédie ne se pique pas d’être noble, même lorsqu’elle est grande; elle se pique d’être humaine, et cela lui suffit. » — Encore moins, lorsqu’elle est moyenne, se pique-t-elle d’être noble ! Elle ne saurait pourtant se dispenser d’être humaine sans perdre le nom de comédie ou même celui de farce, et mériter celui de vaudeville : — on sait que le vaudeville n’est qu’un jeu arbitraire d’événemens et quelque chose comme un ballet de fantoches.

Il y a, dans Décoré, un homme qui sort de la rivière et laisse ses habits s’égoutter sur la scène; un prince nègre en villégiature chez nous; un lion échappé qui rugit à la cantonade; et, cet homme ayant sauvé ce nègre des familiarités de ce lion, un sous-préfet demande et obtient pour lui la croix de la Légion d’honneur, en quelques secondes, par téléphone. — Ainsi, dans Monsieur de Pourceaugnac, il y a des matassins prêts à inonder les planches ; dans le Bourgeois gentilhomme, une cérémonie turque; dans le Malade imaginaire, lorsqu’on persuade au héros de se faire médecin à la minute et sans quitter sa maison, comme il s’étonne, son frère réplique : «Je connais une faculté de mes amies qui viendra tout à l’heure... » D’autres personnages, à leur tour, interrogent ce frère : « Que voulez-vous dire, et qu’entendez-vous par cette faculté de vos amies?.. Quel est donc votre dessein? » Il répond simplement : « De nous divertir un peu ce soir. » C’est aussi la réponse que ferait Molière lui-même aux indiscrets; on sait que son dessein a réussi ! — Mais sous chacun de ces titres. Monsieur