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idées? « les amitiés mortes et les haines nées de jugemens seulement sincères? Et, non moins que les artistes, les critiques s’offensent d’être critiqués. Les uns se croient des dieux, et les autres, des prêtres. « La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme !.. Et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit; et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie; et peut-être que ceux qui le liront... » C’est Pascal qui parle ainsi.

Il y a déjà plus de dix ans qu’au théâtre lyrique de M. Vizentini, M. Salvayre fit naître des espérances trop tôt évanouies. Le Bravo promettait beaucoup et tenait déjà quelque chose. Il y avait là quelque réalité, quelque beauté présente et pas seulement annoncée : de la facilité, trop peut-être ; de la chaleur, de la lumière et un très juste instinct du théâtre. M. Salvayre alors avait du talent. Nous ne l’avons pas rêvé. Nous n’avons pas rêvé notre émotion, ni la faveur publique allant d’elle-même à cette œuvre charmante, que faisaient plus charmante encore deux artistes éminens : la pauvre Heilbronn et Bouhy. Mais depuis!.. Depuis, sans parler de Richard III, que la Russie a seule entendu, M. Salvayre a écrit le Fandango, un ballet assez anodin, et Egmont, qui a fait douter du musicien plus que le Bravo n’avait fait croire en lui. Egmont, écrit pour l’Opéra, n’y fut pas joué, et sa chute ailleurs a prouvé que dans le différend élevé à ce sujet entre M. Salvayre et les directeurs de l’Opéra, le bon goût était du côté de ces messieurs. Mais, pour donner une compensation à M. Salvayre, on lui demanda un ouvrage plus important que l’ouvrage refusé. Il y avait déjà une certaine contradiction entre cette confiance et cette crainte; il y avait au moins de l’imprudence à rendre d’une main pour prendre de l’autre. L’événement l’a bien fait voir.

M. Salvayre n’a décidément pas de chance avec ses librettistes. On l’avait déjà compromis avec un Egmont dénaturé, presque parodié ; voici qu’on lui a gâté la Dame de Monsoreau. Et qui cela? Maquet lui-même, le collaborateur de Dumas dans le célèbre drame. Le compositeur se déclarait, dit-on, ravi de sa pièce. Il faut qu’il ne soit ni très difficile ni très au courant peut-être des ressources et des lois de son art. Des drames pareils ne sont pas faits pour la musique, et la musique n’est pas faite pour eux. Qu’on ne nous oppose pas ici le succès récent de Patrie. Patrie, bien que drame historique, est de plus un drame moral. Il met aux prises de bien autres passions que la Dame de Monsoreau ; il entre bien plus avant dans les âmes. Dans Patrie, il y a autre chose que du mouvement et des faits : le dévoûment au pays, l’héroïsme l’amour, la trahison, autant de thèmes que la musique peut traiter, autant de ressorts qu’elle peut faire jouer. Dans la Dame de Monsoreau, rien de pareil : des événemens qui se précipitent, une action incessante, voire plusieurs actions : d’abord la lutte entre le roi Henry III