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matière à partage dans l’une d’entre elles. La difficulté pour les héritiers de Catherine et de Frédéric, ce serait de faire le lot des deux larrons. Puis, avant de procéder au démembrement de l’Autriche, il y a encore, pour les amateurs de la grande politique, une autre Pologne en Turquie.

Quelque lointain que semble l’accomplissement de pareilles prophéties, il serait imprudent à la France de les oublier. S’il est un pays intéressé à l’existence de l’Autriche, c’est la France. Le jour où la monarchie austro-hongroise viendrait à disparaître ou à être réduite aux pays de la couronne de Saint-Etienne, c’en serait fait de la puissance française. Devant une Allemagne agrandie des provinces allemandes ou semi-allemandes de l’Autriche, la France tiendrait moins de place en Europe que n’en tient aujourd’hui l’Espagne, car, entre elle et l’empire germanique, la France n’aurait pas de Pyrénées. Pour quiconque envisage l’ensemble de la politique européenne, le premier intérêt de la France est le maintien de l’Autriche, sinon exactement dans ses limites actuelles, du moins dans son cadre historique. L’une ne saurait demeurer grande puissance qu’autant que l’autre le demeure. Quand, dans une guerre générale, l’Autriche et la France devraient se ranger en deux camps opposés, elles ne sauraient se faire une guerre à fond et souhaiter la ruine l’une de l’autre. Avant, comme depuis la révolution, la politique française n’a déjà porté que trop de coups à la maison d’Autriche. En aidant à la dépouiller de la Silésie, en l’écartant de la Bavière, en contribuant à l’expulser de l’Allemagne, la France n’a fait que travailler pour le roi de Prusse.

Pourquoi l’Autriche-Hongrie est-elle aujourd’hui l’alliée, l’alliée inquiète et nerveuse de l’Allemagne? Cette alliance, qui a été le chef-d’œuvre de M. de Bismarck, ne tient qu’à une chose, aux craintes inspirées par la Russie à Vienne et à Pesth. Le spectre du panslavisme est l’épouvantail à l’aide duquel le chancelier les tient dans sa dépendance. En même temps, le grand tentateur de Berlin montre de loin à la Hofburg les flots bleus des mers du sud étincelant à la lumière crue de l’Orient. Il ne déplairait pas au Hohenzollern de pousser les Hapsbourg vers le Balkan et la mer Egée pour hériter un jour de leurs vieilles provinces, sans être obligé de faire une part au Romanof.

Tout autres sont les vœux de la France. Si elle ne peut désirer l’amoindrissement de l’Autriche, elle ne saurait souhaiter que l’axe historique de la puissance autrichienne se déplace vers l’Orient. Il faut, pour elle, que l’Autriche demeure un état de l’Europe centrale, afin que l’Europe centrale, de la Mer du Nord à l’Adriatique, ne soit pas abandonnée tout entière à l’Allemagne. Sur ce point.