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de se rappeler que c’était un petit-fils de Louis-Philippe. On sait au quai d’Orsay, aussi bien qu’au Palais d’hiver, que les princes d’Orléans n’ont rien à voir dans ce qu’il a plu à la presse bismarckienne d’appeler une intrigue orléaniste. S’il eût écouté ses oncles et cousins de France, le châtelain d’Ebenthal n’eût pas quitté la Hongrie. En passant le Danube, il a tout simplement imité le Hohenzollern, qui, il y a quelque vingt ans, acceptait, malgré la diplomatie, le trône de Roumanie, et qui, depuis, a devant Plevna conquis le grade de roi. Le prince Ferdinand a agi en Cobourg et non en Orléans. Il est allé en Bulgarie, comme autrefois ses païens d’Allemagne en Angleterre, en Belgique, en Portugal. « Je suis cadet d’une famille d’archicadets, il faut que je me fasse une carrière, » disait-il à des amis. Il l’a fait avec crânerie, à ses risques et périls. C’est un Cobourg qui, pour monter sur un trône, n’a pas pris comme marchepied le lit d’une reine.

Rapproche-t-on l’affaire de Bulgarie de celle d’Égypte, on trouve qu’elles sont loin d’être analogues. Dans le concours discret qu’ont pu s’y prêter l’une à l’autre la France et la Russie, il y a une différence. Lorsque la France réclame la liberté du canal de Suez et l’évacuation de l’Égypte par les Anglais, ce n’est pas un intérêt exclusivement français, c’est un intérêt général, un intérêt européen que la France défend, car elle a renoncé en Égypte à toute position privilégiée. En peut-on dire autant des Russes en Bulgarie ? Cela est malaisé. Ce sont des intérêts exclusivement russes que sert la Russie dans le Balkan. Tandis que la liberté de l’Égypte et du détroit de Suez ne saurait être indifférente au cabinet de Pétersbourg, il importe peu à la France qu’un Cobourg règne ou ne règne pas à Sophia. On pourrait même se demander si le meilleur moyen de décider les Anglais à quitter les bords du Nil est de ramener les Russes en Bulgarie. Une occupation du Balkan par les habits verts ne risquerait-elle pas de fournir aux habits rouges un prétexte de demeurer en Égypte? Jusque dans cet échange de services en apparence réciproques, il y a ainsi une sorte d’inégalité. Il ne faudrait pas qu’une entente franco-russe fût pratiquée de façon que les deux parties n’en retirassent point le même bénéfice.

En Bulgarie, il ne s’agit pas d’intérêts proprement français. Il en pourrait être autrement en d’autres contrées. La politique de la Russie peut la mettre aux prises avec des États dont l’existence importe manifestement à la France. Tel est, nous semble-t-il, le cas de l’Autriche-Hongrie. Un des faits qu’il convient de ne jamais perdre de vue, c’est l’antagonisme de Pétersbourg et de Vienne, de Moscou et de Pesth. Cela vaut la peine de s’y arrêter, car c’est là aujourd’hui le nœud de la politique européenne.