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enclins à la manie du suicide. En présence de telles aberrations, on se demande si les peuples n’en sont pas eux-mêmes parfois atteints. Voici un pays guetté par la haine ou l’envie de ses voisins, qui, pour bouleverser ses institutions militaires, choisit l’heure où l’Europe en armes semble faire la répétition des guerres de demain. Ce n’est cependant pas sur le champ de bataille, en face des canons ennemis, qu’un général disloque ses régimens.


II.

Après cela, comment s’étonner qu’avec ses ressources de tout genre, la France soit demeurée isolée? Les défiances qu’elle eût dû s’appliquer à dissiper, elle semble s’être amusée à les provoquer. Pour se faire des amis dans l’Europe monarchique, la France avait d’autant plus besoin de sagesse qu’elle était en république. Elle l’a oublié. Ce qui écartait d’elle, c’était peut-être moins la forme de son gouvernement que la mobilité dont cette forme de gouvernement a fait preuve chez elle. Ce défaut inspirait d’autant plus de réserve qu’il renforçait en quelque sorte la mobilité gauloise qui, pour la plupart des étrangers, reste, à tort sans doute, le trait dominant du caractère français. Comment lier partie avec la France, alors qu’on la voyait changer tous les ans de ministères et de direction politique ?

Car, ce n’étaient pas seulement les hôtes du quai d’Orsay qui changeaient de nom et de figure, c’était la politique française elle-même qui variait, s’orientant un jour d’un côté, un jour de l’autre, sans étoile pour la diriger. Que de tâtonnemens en tous sens et de velléités discordantes dans cette politique depuis une quinzaine d’années ! On y chercherait en vain quelque esprit de suite, si ce n’est le désir de la paix, la crainte des complications, c’est-à-dire tout le contraire de ce que Berlin reproche à la France. Au début, la France se recueille; elle cherche timidement à plaire à tous, à se faire partout des amis. Elle n’a pas perdu tout espoir dans l’Autriche, qui lui a faussé compagnie en 1870; elle compte encore sur l’amitié de la nation sœur délivrée à Magenta et à Solferino. Elle ne désespère point de gagner à la fois les bonnes grâces de la Russie et de l’Angleterre. Elle est même assez heureuse ou assez habile pour s’assurer leur appui simultané, en 1875, à l’une des heures critiques de sa récente histoire. A peine a-t-elle repris des forces qu’elle tente discrètement de détacher le tsar de l’alliance des trois empires. Les premières coquetteries de la république avec la Russie remontent à l’époque lointaine où les conservateurs étaient encore au pouvoir. Il s’est trouvé, après le 16 Mai, des