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ressources que de périls. M. Carnet a dû son élection à une heure d’enthousiasme et au besoin d’union. Cela a été un l)eau coup de théâtre ; mais cela a duré aussi peu, La concentration faite sur le nom du président n’a pu se faire sur le nom des ministres. Réussirait-elle à s’accomplir, qu’on peut se demander si l’autorité de la France au dehors en serait accrue. Qu’est-ce, en effet, que cette concentration tant prônée, sinon l’union d’une moitié de la nation contre l’autre? Car, au-dessous de la France républicaine et libre penseuse, il reste une France conservatrice, une France religieuse, et cette autre France, nous ne sachons pas que la politique de concentration songe à lui faire une place. Loin de là, c’est pour lui courir sus qu’on invite les républicains à s’entendre. Le premier article de tout traité d’alliance des groupes de gauche, c’est, comme l’a déclaré M. Clemenceau, la reprise des hostilités contre l’ennemi commun. Sous un nom de paix se dissimule une politique belliqueuse. Des deux Frances qui se disputent, en les déroulant trop souvent, les sympathies de l’Europe, l’une doit traquer l’autre sans lui accorder de quartier. Une guerre civile patente ou latente, voilà le dernier mot de la concentration.

L’union de tous les groupes républicains tournerait-elle au moins à l’accroissement des forces matérielles de la France ? Il est permis d’en douter. Sur quoi se fera la concentration, alors qu’elle ne pourra plus se faire uniquement sur les personnes et les amours-propres? Sur quoi s’est-elle déjà parfois opérée, grâce aux compromissions de ministères hybrides? Sur de prétendues réformes, sur ce qu’on appelle pompeusement les grandes réformes démocratiques. Et que sont ces réformes, qui doivent enfin donner à la France la vraie république? Autant de coups portés à l’organisme social, financier, administratif, militaire de la France. Au lieu de consolider la machine gouvernementale, elles auraient pour premier effet d’en détendre les ressorts, d’en relâcher les rouages. Tandis que les jacobins de 1793 avaient au moins le mérite de ramasser dans leurs mains toutes les forces du pays pour les lancer contre la coalition, les radicaux de 1888 semblent n’avoir d’autre souci que d’énerver la puissance publique et de démanteler l’état. N’est-ce pas là le sens de l’autonomie parisienne?

Or, c’est bien au radicalisme que doit profiter toute concentration; aussi ne cesse-t-il de la réclamer. C’est le pavillon sous lequel il compte faire passer sa marchandise. L’avènement des radicaux et de la vraie république amènera un nouveau personnel gouvernemental et une nouvelle politique. Pour le personnel, c’est le pouvoir remis à des mains de moins en moins compétentes et de plus en plus besogneuses, passant des nouvelles couches aux couches en formation.