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il est vrai, en revient à Versailles et à la constitution de 1875, qui a imaginé de faire nommer le président, sans délai, par les chambres réunies, non au Palais-Bourbon, mais hors de Paris. Si courte qu’elle ait été, il était temps que la crise finît. Paris et la France sont, durant quelques jours, demeurés sans gouvernement : vingt-quatre heures, quarante-huit heures de plus et tout devenait possible. Pour facile qu’ait été la transmission des pouvoirs, elle n’en a pas moins laissé apercevoir le défaut du mécanisme gouvernemental. L’Europe croyait le président élu pour sept ans, placé au-dessus du mauvais vouloir des chambres, et voilà que, pour le renverser, il a suffi d’une mise en demeure du parlement. En visant l’homme, les chambres ont inconsciemment touché l’institution. Le jour où il les gênera, les majorités savent comment on se débarrasse d’un président.

Ce n’est pas tout; cette crise a découvert à l’étranger deux plaies dont il se figurait la république indemne ou guérie : la corruption administrative et l’agitation révolutionnaire. Jusqu’ici, à travers toutes ses révolutions, la France avait gardé la réputation d’un pays intègre, trop administré peut-être, mais administré honnêtement. C’était sa force en même temps que sa gloire. Aujourd’hui, la vieille renommée de l’administration française est atteinte; elle n’a pas résisté aux faiblesses de l’Elysée, aux complaisances ou aux complicités de la chambre. Tandis qu’à Paris le scandale était tel, que plus rien n’étonnait, au dehors, comme en province, le soupçon n’eût osé monter jusqu’au gendre du chef de l’état. On se demande aujourd’hui si c’est bien le même homme que la chambre s’obstinait à nommer président de la commission du budget et rapporteur-général du budget. Pour l’étranger, c’est comme un charme de rompu. Cette longue indifférence des pouvoirs publics pour les questions d’honorabilité paraît un symptôme grave. On y a vu une marque d’affaissement du sens moral. Grâce à Dieu, il reste encore en France des hommes probes, à commencer par M. le président de la république ; mais le fait seul de nommer un président pour sa réputation d’intégrité n’a-t-il pas quelque chose d’inquiétant? Le Seigneur disait à Abraham qu’il épargnerait Sodome, s’il s’y trouvait dix justes. On dirait que le congrès de Versailles a cru tout sauvé, parce qu’il en a trouvé un. La commission d’enquête nommée par la chambre ne semble pas avoir fait grande besogne. Police et magistrature paraissent avoir moins le souci de découvrir les coupables que de dégager les personnages compromis. A travers les voiles timidement soulevés par la justice pour les laisser discrètement retomber, on entrevoit une corruption qui gagne de proche en proche. Cela n’est pas une force pour un pays.

Ce mal rongeur, qui dévore lentement les chairs d’un peuple,