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résultats aboutit cet immense appareil électoral qui semblerait devoir porter à leur suprême puissance toutes les forces de la nation. Est-ce, comme le disent ses détracteurs d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, comme le répètent à Paris même tant de désenchantés ou de pessimistes, que cette vieille terre de France est un sol épuisé? A qui le faire croire, alors que, dans toutes les branches de l’art et de la science, la France donne tant de marques de vitalité? Depuis 1870, il y a chez elle un renouveau dans tous les domaines. Pourquoi la politique fait-elle exception? Cela semble tenir au régime. Le propre des démocraties serait-il de remettre le gouvernement aux mains de la médiocrité? À ce point de vue, l’expérience de la France républicaine est affligeante; et ceux qu’elle inquiète le plus en Europe sont les démocrates, qui avaient salué avec le plus de confiance l’aurore de la troisième république.

On dirait que le suffrage universel, tel qu’il se pratique en France, a pour objet une sélection à rebours. Une assemblée étonnante à cet égard, c’est le quatrième pouvoir de l’état, celui qui commence à intimider les trois autres, le conseil municipal de Paris. L’étranger y cherche en vain un nom connu du dehors. C’est comme si l’on s’était ingénié à exclure toutes les illustrations de la grande ville; cela ressemble à une gageure. Au parlement, au sénat en particulier, le niveau intellectuel est sans doute plus élevé, grâce surtout aux ruraux; mais là même que d’aventuriers de plume ou de tribuns de clubs pour un homme public! Les hommes les plus en vue dans les diverses spécialités de la politique, législation, finances, affaires étrangères, semblent frappés d’ostracisme. On se défie des gens qui savent. La porte des chambres leur est fermée, ou, s’ils viennent à la forcer, c’est pour jouer, devant l’incrédulité d’un parterre gouailleur, le rôle ingrat de Cassandre.

Et cet abaissement du personnel gouvernemental n’est pas propre au monde parlementaire. Administration, diplomatie, magistrature, tous les services publics ont été ravalés et énervés par des épurations successives qui, sous prétexte de loyalisme républicain, ont presque partout remplacé les hommes capables par des hommes agréables. Il restait l’armée, la force et l’honneur de la France. Jusqu’à ces derniers temps, elle était demeurée indemne du virus politique ; mais voici que le radicalisme travaille à le lui inoculer. Pour être acclamé grand homme de guerre, il suffit de se faire le courtisan des radicaux. Près d’eux, l’expulsion d’un prince vaut Arcole et Rivoli. Pour la popularité d’un général français, des chansons font autant que des batailles.

Tel est l’attristant spectacle que présente à l’Europe la France des dernières années. On dirait qu’elle s’est appliquée à justifier les cyniques