Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la résistance et par la contradiction,.. et il lui était plus facile de se contenir sur les grandes choses que sur les petites[1]. » — On voit donc que, s’il a tant résisté et s’il s’est tant opiniâtre pour avoir raison dans cette pauvre affaire de quatorze moules de bois, ce n’est point par petitesse d’esprit ou par mesquinerie d’intérêt, mais par le seul effet d’un caractère droit qui s’irritait d’un manque de délicatesse à l’égal d’une persévérante injustice.


III.

Enfin, la querelle semble terminée ; De Brosses l’a emporté, tout paraît fini. Voltaire doit être à jamais battu, désarmé, et peut-être content, car il écrit, le 3 janvier 1762, au président de Ruffey : « j’ai été très fâché contre M. de Brosses, mais je n’ai point de rancune. » Malheureusement cette aimable assurance n’était qu’une affirmation, car, à partir de ce moment, toute la correspondance de Voltaire avec ses amis de Bourgogne, même avec le président de Ruffey, mais surtout avec MM. Lebault et Legouz, n’est qu’une longue suite de calomnies et d’injures à l’adresse de De Brosses. — Ceux-ci, gens d’honneur et de bonne éducation avant tout, gardaient le secret et n’avertissaient pas le président des dispositions de son adversaire. L’un d’eux pourtant lui dit : « Prenez garde à Voltaire, c’est un homme dangereux ! » À quoi De Brosses répondit : « Et, à cause de cela, faut-il le laisser être méchant impunément ? Je ne le crains pas… On l’admire parce qu’il fait d’excellens vers ; sans doute, il les fait excellens, mais ce sont ses vers qu’il faut admirer ! Je les admire aussi, mais je mépriserai sa personne s’il la rend méprisable. »

Avec cette franchise, le président ne pouvait manquer de tomber dans le premier piège que Voltaire lui tendrait. L’occasion en vint bientôt. Elle se trouva dans la candidature de De Brosses à l’Académie française pour le siège du président Hénault. — Tous les amis du président de Brosses l’engageaient à se présenter, car ils avaient conscience de sa valeur. Outre une série de mémoires et ses Lettres familières sur l’Italie, il avait terminé, à cette époque, trois ouvrages considérables pour le temps, et justement estimés alors, l’Histoire des navigations aux terres australes, le Culte des dieux-fétiches, et un Traité de la formation mécanique des langues. Il était, en outre, de l’académie de Dijon et de celle des inscriptions ; c’étaient là des titres sérieux, et l’on ne pouvait douter

  1. Docteur Maret.