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faire une enquête sur un abus de pouvoir du présidial de Saint-Pierre-le-Moutier, l’affaire lui parut si embarrassante qu’il renonça à l’instruire. Elle fut confiée alors au jeune conseiller De Brosses, qui s’en acquitta de façon à mériter les félicitations du chancelier Daguesseau. — C’était donc un jurisconsulte éminent, et s’il ne nous a laissé aucun ouvrage de droit, c’est vraisemblablement qu’en cette matière la pratique avait pour lui plus d’attraits que la théorie. — Mais, au dire du bon Dupuy, secrétaire de l’Académie des inscriptions, dont De Brosses faisait partie dès 1746, il avait étudié en outre « l’histoire ancienne et moderne, sacrée et profane, la géographie, la chronologie, la mythologie, la philosophie, la physique, la métaphysique, en un mot toutes les sciences ! » Et Buffon, qui fut un de ses meilleurs amis, a pris plaisir à nous expliquer, en grand style, le secret de cette universalité : « Ce qui lui donnait, dit-il, cette avidité pour tous les genres de connaissance, quelque élevés, quelque obscurs, quelque difficiles qu’ils fussent, c’était la supériorité de son esprit, la finesse de son discernement, qui, de très bonne heure, l’avaient porté au plus haut point de la métaphysique des sciences. Il en avait saisi toutes les sommités, et sa vue s’étendait d’en haut jusque sur les plus petits détails, au point de ne laisser échapper aucun de ces rapports fugitifs que le coup d’œil du génie peut seul apercevoir. »

Toute cette science était sans l’ombre de pédanterie, sans que De Brosses cessât un seul instant d’être un homme du monde accompli, et le plus charmant conteur de son époque avec l’abbé Galiani. — Il le prouva bien, quand il fit, avec Loppin et les deux Lacurne, ce célèbre voyage en Italie dont ses Lettres familières nous ont conservé les détails. Quel chef-d’œuvre de spirituelle bonne humeur, d’abandon naturel et de saine gaîté ! Mais, en même temps, que d’érudition vraie, et quelle sûreté de goût ! — Les trois amis firent sensation dans la Ville éternelle, et, quand ils y furent rejoints par Legouz, le cardinal Passionnei avait beau dire, avec une pointe d’ironie, que, depuis l’invasion des barbares, on n’avait jamais vu tant de Bourguignons dans Rome, il était sous le charme, et toute la bonne société italienne avec lui. — Le docteur Maret, qui avait beaucoup connu le président de Brosses, disait que « son talent de faire, sans prétention, des vers dont l’à-propos relevait le mérite, le faisait rechercher partout, et partout sa présence faisait renaître la gaîté[1]. » — Physiquement, le président était d’une toute petite taille. Nous savons qu’il fut excellent cavalier. Il était agile, remuant,

  1. Oraison funèbre du président de Brosses, prononcée devant l’académie de Dijon ; Dijon, 1776.