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suivi les membres du comité. Un coup d’œil lui suffit pour deviner par qui elle avait été dénoncée. La physionomie de sa femme de chambre trahissait une conscience troublée. « Je vous plains, lui dit ma mère en s’approchant de cette fille. » Celle-ci se met à pleurer et répond tout bas : « Pardonnez-moi, madame, j’ai eu peur. — À quelle prison veux-tu qu’on tu conduise ? dit un des membres du Comité, tu es libre de choisir. — Qu’importe ! — Viens donc ! » On la fouille, on ouvre les armoires, on bouleverse la chambre, mais personne ne songe à regarder sous le canapé.

Elle monte en fiacre avec trois hommes armés, qui hésitent s’ils ne la conduiront pas à Sainte-Pélagie ; ils la mènent rue de Vaugirard, aux Carmes, dans ce couvent changé en prison, et dont les murs étaient encore teints du sang des victimes massacrées le 2 septembre 1792.

Nous empruntons le récit du séjour en prison de Mme de Custine aux deux lettres publiées par son fils, en les complétant au moyen de documens empruntés aux Archives nationales et aux Mémoires du temps.

Bertrand, l’ami sûr qui attendait à la barrière, voyant passer l’heure du rendez-vous, ne douta pas un instant de l’arrestation de Mme de Custine. Il court sans hésiter au bureau de la diligence, afin d’empêcher le départ de l’enfant et de Nanette Esbelin pour Strasbourg, il arrive à temps. Les scellés ayant été apposés sur l’appartement, il n’y avait de pièce libre que la cuisine, où la servante fidèle établit son lit et le berceau. Les domestiques avaient, en déguerpissant, pillé le linge et l’argenterie. Pendant les huit mois que dura la captivité de la mère, son enfant vécut là. L’argent fut vite épuisé ; la pauvre Nanette vendit ses bardes pour nourrir le petit être de deux ans confié à ses soins.

La prison des Carmes, où Mme de Custine fut enfermée, était pleine de captives du plus haut rang, appartenant la plupart à cette partie de la noblesse qui avait accepté les idées de 89. Il suffira de citer Mme Charles de Lameth, Mme d’Aiguillon, Mme de Jarnac, Mme Joséphine de Beauharnais. Jeunes, belles, ayant l’orgueil de leur infortune, elles continuaient, par la vivacité et le bon goût de leurs entretiens, la vie mondaine. Elles donnaient surtout, par la sérénité de leur esprit, le plus rare exemple de liberté morale. Delphine de Custine et Joséphine de Beauharnais étaient logées dans le même cabinet, et se rendaient les services mutuels de femmes de chambre. Mais tandis que ces grandes dames montraient une énergie exemplaire, que Mme de Custine se refusait du sommeil, parce qu’elle craignait, disait-elle, de donner des marques de faiblesse, si on venait la réveiller la nuit en sursaut pour la conduire devant le tribunal révolutionnaire, Mme de Beauharnais, avec son imagination