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de mon arrêt. Toi donne une récompense à qui te remettra cette lettre ! »


Le geôlier lui arracha la plume des mains, parce que l’appel des condamnés se faisait en ce moment dans la cour.

Par une froide journée, le 4 janvier 1794, la charrette conduisit Philippe de Custine sur la place de la Révolution. Tel il avait été devant ses juges, tel il fut devant la mort. Le Glaive vengeur (nivôse an II) constate sa fière altitude, et il en prend occasion pour insulter à la fois le père et le fils : « Si le misérable jeune homme, dit-il, hérita des sentimens de trahison de son infâme père, il n’annonça pas au moins en avoir la faiblesse. Il est allé au supplice avec fermeté et tranquillité. »


V.

Veuve à vingt-trois ans, n’ayant plus d’autre devoir que de conserver la vie de son unique enfant, Mme de Custine prit la résolution de quitter la France. Elle espérait, sous le nom d’une marchande de dentelles, gagner la Belgique, tandis que la servante attachée au petit Astolphe, Nanette Esbelin, sortirait par l’Alsace. On devait se rejoindre à Pyrmont, en Westphalie, et de là se mettre en route pour Berlin où se trouvaient la comtesse de Sabran et Elzéar. Delphine parvint, à force d’argent, à se procurer un passeport.

Après avoir quitté son hôtel de la rue de Bourbon, elle avait pris un modeste appartement, rue de Lille, no 509. Elle avait déposé son paquet de voyage chez un ami, M. Bertrand, qui devait le lui rendre à l’heure indiquée, à la Maison-Blanche, sur la route de Villejuif. Tout était prêt. Elle avait embrassé son enfant ; la servante et lui s’étaient rendus au bureau de la voiture publique pour Strasbourg. Mme de Custine se préparait à sortir pour prendre en poste la route des Flandres. Elle était seule et mettait en ordre ses papiers compromettans. Assise sur un grand canapé près de la cheminée, elle commençait à brûler les lettres les plus dangereuses. Tout à coup, elle entend ouvrir la première porte de son appartement ; sans plus délibérer, elle ramasse tous les papiers dans un carton et le pousse rapidement sous le canapé ; c’étaient les membres du comité de sûreté générale et de la section qui entraient : « Tu es arrêtée, s’écria le président, parce qu’on t’a dénoncée comme émigrée d’intention. — C’est vrai, dit ma mère. » (C’est Astolphe de Custine qui fait ce récit.) Elle voyait déjà dans les mains du président son portefeuille et son faux passeport, qui venaient d’être saisis dans sa poche. Elle aperçut au même instant ses gens qui avaient