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que vous éprouvez. Je ne sais si mes deux dernières lettres vous sont parvenues. Je vous y entretenais de plusieurs des choses dont vous me parlez. Au surplus, rien n’est plus juste et même plus indispensable que vos démarches actuelles et projetées. Je gémirai, pour la chose publique, du parti auquel vous serez bientôt obligé, mais il sera nécessaire dans l’hypothèse que vous établissez. Il ne sera peut-être même pas perdu pour elle ; et ce que (du moins pour vous) je désire, c’est que l’exposé de vos motifs soit clairement, méthodiquement, fortement, mais prudemment rédigé ; c’est un objet digne de la plus grande attention. Vous savez le renouvellement et la composition actuelle du comité de salut public. Il semble qu’il veut garder le silence sur vos dépêches et sur la nouvelle fâcheuse que vous leur donnez ; du moins le journal du soir ne fait-il pas mention qu’il en ait été donné connaissance à la Convention.

« Adieu ! mon cher papa, je vous embrasse tendrement. N’oubliez pas un fils qui souffre de toutes vos peines et jouirait plus que vous-même du bonheur que vous méritez et que, peut-être, la fortune ne vous refusera pas toujours.

« Votre fils respectueux. »


Cette lettre ne trouva pas le père à Cambrai ; elle fut renvoyée à Paris, et elle tomba entre les mains du secrétaire-général du ministère de la guerre, le citoyen Vincent. Le sort de Philippe de Custine fut décidé. Vincent, flairant déjà en lui une proie nouvelle, adressa la lettre à Fouquier-Tinville avec ces mots :


« Je t’envoie, républicain, une lettre originale écrite de Paris, datée du 13 au soir, et adressée à Cambrai le jour que Custine venait de quitter l’armée pour se rendre au comité de salut public où il était mandé. Elle a été saisie par moi dans le paquet de renvoi qui lui est adressé à la maison Grange-Batelière, où il était descendu, et que j’ouvris lorsqu’il fut apporté à la maison de la guerre. Tu jugeras, républicain, combien la lettre de Custine doit paraître suspecte, puisqu’elle a été écrite à la veille de la trahison, au moment où le comité de salut public l’a arrêté dans ses complots. Chaque mot de cette lettre était une énigme, mais elle ne l’est plus actuellement.

« Signé : VINCENT. »


La lettre avait de plus été dénoncée aux jacobins. Philippe de Custine, libre alors, avait donné des explications dans une brochure