Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/822

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à barbe. La journée se termina par un bal champêtre. Mme de Sabran se plaît à raconter ces enfantillages à son ami : « Quels jolis couplets tu aurais faits à la place de toutes nos bêtises, ajoute-t-elle, et combien ta pauvre veuve eût été heureuse et contente ! Mais il ne faut pas penser à tout cela. Aimons-nous du moins des deux extrémités du monde ; si nous sommes condamnés à vivre ainsi éloignés l’un de l’autre, je ne sais s’il faut répondre de toi, mais je réponds de moi à la vie, à la mort, telle chose qui arrive ! »

Delphine avait trouvé dans Philippe de Custine autant de délicatesse, autant de tendresse qu’elle en pouvait rêver à seize ans. Elle se forma au contact de la raison aimable de sa mère et de la fermeté affectueuse de ce jeune mari dont les événemens allaient rapidement faire un homme. Tout entiers à cette première aube du bonheur, ils étaient restés à Anisv.

Mme de Sabran va les voir : « j’ai trouvé mes deux petits tourtereaux roucoulant leurs amours le plus joliment du monde. Ils n’avaient nul besoin de moi, je t’assure ; ils ont cependant été charmés de me revoir, car ils m’aiment bien, et tu serais touché de la bonne manière dont nous sommes ensemble. Je ne leur demande que de savoir être heureux et je serai contente ; je vois avec plaisir qu’ils s’y prennent bien. Pourvu que cela dure[1] ! »

Les joies conjugales durèrent. La présence de Philippe de Custine à son régiment, en amenant une séparation de quelques jours, fut le seul chagrin de la maison. Delphine y était souveraine. « Tu rirais si tu voyais comment Delphine mène son petit mari ; elle le gouverne plus despotiquement que son frère ; c’est le plus drôle de petit ménage qu’on ait encore vu. Dans ce moment, elle est reine absolue et jouit bien de son empire[2]. »

« J’ai gravi les montagnes (Mme de Sabran était aux eaux de Plombières) une partie du jour avec ma Delphine, qui est fort triste de l’absence de son jeune époux. Cependant il n’est qu’à Epinal et doit revenir après-demain ; mais c’est la première séparation, et il en est de nos peines comme de nos plaisirs ; les premières sont les plus vivement senties[3]. »

il revient enfin et l’on repart pour Anisy, après avoir fait l’ascension du ballon des Vosges. « Il était trois heures du matin, le froid était glacial ; mes deux petits amans s’assirent l’un contre l’autre, si près, si près, à l’abri de l’amour, qu’ils se réchauffèrent facilement ; mais moi, pauvre veuve, je grelottais dans mon petit coin. »

  1. Lettre du 13 août 1787.
  2. Lettre du 18 août 1787.
  3. Lettre du 6 septembre 1787.