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accroupies sur notre lit, sans imaginer d’en sortir. À la fin, l’heure nous enchâssa… À une heure, dans le plus grand appareil et le plus morne silence, nous nous rendîmes à la chapelle de l’évêque. »

« Jamais le cœur ne m’a battu si fort qu’au moment où je l’a déposée sur le prie-Dieu où elle allait dire ce fameux oui dont on ne peut plus se dédire quand il est prononcé, telle envie qu’on en ait quelquefois. Le mien ne m’avait pas fait tant d’impression, et cependant quelle différence ! j’épousais un vieillard infirme dont je devais être moins la femme que la garde-malade ; et elle, un jeune homme plein de grâce et de mérite. »

« Ma Delphine ne pleurait pas, mais sa petite mine était allongée, et son mari n’était pas fort assuré non plus. L’évêque leur a fait un discours plein de raison et de sentiment qui a attendri tout le monde. »

« Elzéar a tenu le poêle, et comme il était trop petit, on l’a monté sur la plus grande chaise de la chapelle ; il avait l’air de ces petits anges dans les Annonciations de la Vierge. »

Il n’y avait pas foule dans l’assistance. De tous les amis sur lesquels Mme de Sabran pouvait compter, dans une occasion aussi solennelle, il n’y avait que la comtesse Auguste d’Aremberg, qui avait tout quitté pour assister à la cérémonie. Les autres avaient donné mille excuses comme cela se pratique. La comtesse Diane et le duc de Polignac fussent certainement venus sans le voyage de Trianon, qui avait lieu ce jour-là et dont ils ne pouvaient se dispenser. Les parens n’étaient pas en plus grand nombre : excepté M. et Mme d’Aramon, il n’y avait pas un de Sabran. « Le bon cousin gardait sa mère qui se meurt, et le mauvais s’était refusé à mes sollicitations et même à celles de son frère… Il n’y a donc qu’un petit parent éloigné, M. de Glandevès, qui est un fort joli sujet qui restera quelques jours avec nous ; M. de la Colmière, un ami intime du petit de Custine, M. de Pouilly, son oncle, sans Mme de Pouiily, qui est malade, et M. et Mme de Jarnac. »

L’originalité manque jusqu’ici, mais le XVIIIe siècle va reparaître.

Après le déjeuner, on était descendu dans le jardin ; une foule de bergers et de bergères, avec le bailli à leur tête, viennent complimenter la mariée. Chacun chante son petit couplet, comme dans l’Amoureux de quinze ans. On s’attendrit, après quoi on danse avec les ménétriers du village ; Mme de Sabran ouvre le bal avec le général de Custine et ses enfans, et le bal et les chansons durent tout le jour. Quand on est las de danser, on joue au pharaon. Puis un repas splendide. Enfin arrive ce que Mme de Sabran appelle le vrai quart d’heure de Rabelais : « Jamais de ma vie, écrit-elle, je n’ai été aussi bête ; je crois que demain j’en serai encore rouge. » Elle termine ainsi son récit : « Que ne suis-je à présent à la place de ma fille, et que n’es-tu à la place de mon fils, après avoir obtenu