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un fléau que le ciel m’envoie… Il ne sait ce qu’il veut, il ne sait ce qu’il dit, il ne sait pas plus ce qu’il fait. Il est venu chez moi aujourd’hui à onze heures du matin. J’ai cru que c’était pour prendre des arrangemens définitifs et fixer un terme enfin à notre mariage ; point du tout ! c’était pour me dire que ses affaires seraient plus longues qu’il ne l’avait pensé d’abord, qu’il fallait remplir des formalités nécessaires à cause de la minorité de son fils, qu’il avait un compte de tutelle à lui rendre, des terres à faire estimer, etc. ; qu’il voulait de plus exposer son désir à la reine pour faire avoir le titre à son fils, qu’il comptait lui faire demander une audience, et mille autres folies pareilles dont je te fais grâce et qui me perçaient le cœur d’outre en outre, à mesure qu’il me les prononçait. »

Elle fait d’abord grise mine en écoutant les explications, puis l’impatience l’emporte et elle met le marché à la main : « Monsieur, la seule grâce que je vous demande à présent, c’est de fixer une époque dont on ne s’écartera pins, car il n’est pas possible de rester plus longtemps dans cette incertitude. L’évêque de Laon a des affaires qui l’obligent à retourner en ce moment dans son diocèse ; moi, j’ai les miennes. Si les vôtres se prolongent au-delà de ce mois ou au commencement de l’autre, nous irons chacun de notre côté, en attendant qu’elles puissent finir[1]. »

Le ton avec lequel Mme de Sabran parla fit un effet merveilleux. M. de Custine redevint doux, affable, accommodant. Tout prit à ses yeux une tournure facile. L’intervention de la comtesse Diane et du duc de Polignac, qui témoignaient à Mme de Sabran une affection de tous les instans, firent le reste. Les dernières difficultés furent aplanies, et la cérémonie du contrat fixée au 21 juillet.


II.

« Je ne pense plus qu’à mon mariage, écrivait le 13, à Boufflers, la mère attendrie. Je dis mon, c’est une façon de parler, comme tu l’imagines bien ; car il faut être plus près que nous ne le sommes pour une pareille cérémonie. Mais c’est celui de ma Delphine dont il est question, dont le bonheur commence à réfléchir sur moi-même, comme les rayons du soleil sur la lune, pour rendre mes jours plus calmes et plus sereins. Il y a longtemps que je ne me suis trouvée dans une aussi bonne disposition. Je vois tous les jours mon petit ménage s’attacher plus fortement l’un à l’autre, et le cœur de cette pauvre petite s’amollir et se fondre au feu de ce redoutable dieu qui ne peut plus lui faire de mal, ayant épuisé les traits les plus envenimés sur sa malheureuse mère ; mais je lui pardonne s’il s’en tient là… »

  1. Lettre du 7 juillet 1787. — (Correspondance.)