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et de la ville de Dieuze. Il n’avait qu’une sœur, Adélaïde-Anne-Philippine, qui fut mariée au comte de Cauvigny. Leur mère étant décédée, les deux enfans mineurs avaient été émancipés et avaient procédé au partage et à la liquidation de la succession[1]. La fortune maternelle s’élevait à plus de 700,000 livres pour chacun d’eux. C’était donc un beau parti. Le jeune de Custine avait été élevé par son père, engoué des traditions militaires du système prussien, dans les idées du comte de Saint-Germain, et envoyé à l’académie militaire des nobles. Au moment des pourparlers du mariage, il avait à peine dix-neuf ans et Delphine seize. On suit pas à pas dans la Correspondance de Mme de Sabran, depuis le 12 janvier 1787, toutes les phases que traversa cette union avant d’être conclue. La mère inquiète redoute les méchancetés dont l’envie, la malignité, la vengeance feront usage, et ce qu’elles produiront sur un caractère comme celui du beau-père. Elle s’abandonne à la Providence, et « à ce bon génie qui veille sur moi et qui m’a déjà tant de fois tirée d’affaire[2]. »

Le 27 juin, elle écrit à Boufflers : « Je me consume en inquiétude. Rien n’avance, rien ne se fait. Nous ne sommes pas plus avancés de notre mariage que le premier jour. M. de Custine, le père, a mal à la jambe à présent et par le d’aller faire un voyage aux eaux, ce qui va nous rejeter aux calendes grecques. Voilà dix-huit mois que cela dure, et rien ne me dit quand ce charme sera rompu… J’en maigris à vue d’œil, et si cela ne finit pas bientôt, ce sera un enterrement au lieu d’un mariage qu’il faudra faire dans la famille. »

En vain, pour se distraire, s’est-elle mise à apprendre le latin avec la comtesse Auguste d’Aremberg ; en vain elle se remet à la peinture ; en vain elle va souper chez Mme de La Reynière, où elle rencontre la jeune ambassadrice de Suède, Mme de Staël, qui deviendra l’amie de ses enfans ; en vain le prince Henri de Prusse lui donne une nouvelle preuve de bonté et de galanterie en faisant graver le délicieux portrait peint par Mme Lebrun, Mme de Sabran s’ennuie de ce rôle de belle-mère en expectative, elle ne sait où prendre toute la pédanterie qu’il faudrait pour le remplir dignement. Le futur beau-père la fatigue encore plus. Où trouver des phrases pour lui répondre, des oreilles pour l’écouter ?

« Je ne sais à quoi je suis destinée sur la fin de mes jours, mais, en attendant, je suis cruellement éprouvée ; et ma patience, ou pour mieux dire mon impatience, est mise à bout à toutes les heures, à tous les quarts d’heure, à toutes les minutes. Ce beau-père est

  1. Archives nationales, section judiciaire, cote 5, 127. — Acte d’émancipation, 22 mars 1785.
  2. Correspondance de la comtesse de Sabran et du chevalier de Boufflers, lettre du 12 janvier 1787.