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où on lit des morceaux d’histoire qui peuvent les intéresser. Elzéar est étonnant pour sa mémoire, son attention et son esprit. Il en sait déjà plus que sa sœur. »

Mme de Sabran formait aussi ses enfans à aimer celui qui devait remplacer leur père. « Delphine a reçu votre lettre avec transport, mais elle est très piquée que vous ne la traitiez pas comme une autre Lesbie, en faisant l’éloge de son petit moineau. Elle dit qu’ayant pour le moins autant de facilité que Catulle, votre mauvaise volonté est inexcusable. »

Et, quelques semaines après, quand une plus grande intimité a permis le tutoiement : « Delphine t’aime bien ! Elle n’est pas ma fille pour rien. Je désire cependant pour son bonheur qu’elle n’aime pas autant que je t’ai aimé et que je t’aime. »

Il fallut la mettre au couvent de la Présentation pour son éducation religieuse. Ce fut une vive douleur que cette séparation.

« 17 avril 1784. — Je vois approcher avec une douleur mortelle le moment de ma mettre Delphine au couvent. Le jour en est pris pour samedi prochain. J’y entrai hier pour la première fois, et j’en ai été malade comme une bête toute la journée. Je ne sais comment je ferai le jour qu’il faudra l’y laisser. »

La petite fille, désespérée elle-même d’entrer au couvent, s’y accoutuma. Elle en sortit au bout de dix-huit mois prodigieusement engraissée. « c’est un diminutif de la jeune princesse de Rochefort. Cela lui sied mal ; et, pour dire vrai, je l’ai trouvée fort enlaidie. Sa taille a perdu toute son élégance. Enfin, tout cela est horrible. Tu dois te figurer mon chagrin, il est extrême. Tu en jugeras par toi-même. »

Le chagrin ne fut pas de longue durée. Delphine reprit bien vite ses belles couleurs, son élégance et sa grâce. Nous la voyons jouant avec son frère Iphigénie en Tauride, chez la duchesse de Polignac. Louis XVI et Marie-Antoinette étaient présens. Ils traitèrent les enfans avec toute sorte de bontés. La reine avait été attendrie jusqu’aux larmes par la tragédie. Les charmes de Delphine étaient tout à fait revenus à une autre soirée, le 5 juin 1786, chez la même duchesse de Polignac. La comtesse de Sabran y avait conduit sa petite religieuse, qui avait quinze ans et qui mourait de peur. Il y avait là une affluence prodigieuse. « L’archiduc et l’archiduchesse d’Autriche y soupaient ainsi que la reine. Dans un moment où Mme de Sabran s’était un peu éloignée de sa fille, l’archiduc imagina de venir lui parler. Elle en fut si déconcertée que, n’entendant rien à ce qu’il lui disait et ne sachant que lui répondre, elle prit le parti de se sauvera l’autre bout du salon, toute rouge et dans un état affreux. Toute la soirée on s’est amusé aux dépens