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réponse qui certes n’a pas été tardive, elle me semble très désobligeante pour moi et manquer aux égards dus à ma personne autant qu’à mon grade. Je vous prie donc de vouloir bien demander à M. le maréchal ministre de la guerre de m’autoriser à rentrer immédiatement en France après mon inspection, et, pour hâter mes travaux, je désire que vous me permettiez de résilier dès à présent le commandement que j’exerce sous vos ordres. »

Le 12 août, après avoir reçu cette lettre au moins étrange, qu’il envoya au ministre de la guerre, le gouverneur y joignit le long détail de ses griefs accumulés : « Monsieur le maréchal, écrivit-il au maréchal Soult, jusqu’à ce jour je ne vous ai fait que l’éloge de M. le général Changarnier. Ses qualités d’homme de guerre m’avaient fait passer sous silence les grands défauts de son caractère et les torts répétés qu’il a eus envers moi. Je ne voulais pas priver l’armée de ses services, et j’ai mis dans l’oubli des actes très contraires à la discipline comme à toutes les convenances ; mais sa dernière démarche et les deux lettres que j’ai reçues hier et aujourd’hui, lesquelles j’ai l’honneur de mettre sous vos yeux, ont fait déborder le vase. Je n’hésite plus à vous faire part de tous mes griefs contre cet officier-général.

« La première faute date du 3 mai 1841 devant Miliana. Abd-el-Kader avait réuni toutes les forces dont il pouvait disposer à 40 lieues à la ronde. Je ne crois pas exagérer en disant qu’il avait 20,000 hommes, infanterie et cavalerie. Ayant jugé, la veille, lorsque je faisais entrer mon convoi à Miliana, qu’il avait l’intention de m’attaquer le lendemain, quand j’opérerais ma retraite, je résolus de faire semblant de m’en aller, pour lui livrer bientôt après une action sérieuse. S. A. R. Mgr le duc de Nemours commandait le centre et la gauche ; M. le général Changarnier était sous ses ordres. Je donnai à ce dernier des instructions en secret, afin de bien lui faire comprendre la manœuvre que j’avais décidée. Je le priai de veiller à la sûreté du prince et de l’aider de son expérience. Le centre et la gauche avaient ordre de rester immobiles et de servir de pivot à l’aile droite qui, par un changement de front en avant à gauche, devait isoler l’infanterie ennemie des grandes montagnes. Au lieu de temporiser et de donner le temps au colonel Bedeau de sortir de Miliana, où il était embusqué avec deux bataillons, le centre et la gauche prirent l’offensive. L’ennemi fut battu; il laissa environ 400 morts sur le terrain, parce que, voyant l’affaire manquée, je jetai sur sa queue trois escadrons, mais nous ne fîmes presque pas de prisonniers.

« Le soir, ayant réuni Mgr le duc de Nemours, ses officiers, les chefs de corps et M. le général Changarnier, je causai de la manœuvre du matin avec toute la réserve et les ménagemens que l’on doit à