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scène qui eut lieu à Miliana, lorsque la nouvelle de la promotion de ce dernier y parvint. Je la tiens d’un ancien officier d’ordonnance de M. de Bourjolly, qui en fut témoin et qui n’en a pas oublié les détails. M. Changarnier était dans Miliana, et M. de Bourjolly, commandant une colonne dans la vallée du Chélif, campait au marabout de Sidi-Abd-el-Kader. Quand il eut reçu les dépêches qui annonçaient la promotion de son collège, M. de Bourjolly crut ne devoir céder à personne le soin de les lui ai)porter, et, montant aussitôt à cheval, il se rendit à Miliana, suivi de son officier d’ordonnance. Il trouva M. Changarnier sur la place, et, mettant aussitôt pied à terre : « Mon général, lui dit-il, je m’estime très heureux de pouvoir être le premier à vous annoncer que vous êtes nommé lieutenant-général. » À cette nouvelle, M. Changarnier pâlit d’émotion, et, sans adresser un mot de remercîment au messager qui la lui apportait : « Enfin, s’écria-t-il, je puis donc arriver à quelque chose! » M. de Bourjolly tourna alors sur ses talons, remonta à cheval et repartit pour son bivouac, maudissant la malencontreuse idée qui l’avait poussé à une démarche de laquelle il avait attendu peut-être un rapprochement avec son ancien ennemi, et qui ne lui rapportait qu’une humiliation de plus. »

Le général de Bourjolly commandait alors la cavalerie de la colonne que le gouverneur allait conduire sur le territoire d’El-Esnam. Cette colonne se composait de six bataillons, de 250 chasseurs d’Afrique et spahis, de deux sections d’artillerie de montagne, de deux forts détachemens de sapeurs du génie et d’ouvriers d’administration, d’une compagnie de discipline et d’une section d’ambulance ; le convoi comprenait 120 voitures et 350 mulets. Le 23 avril, la colonne partit de Miliana; ce même jour, Changarnier prenait le chemin de Teniet-el-Had, et La Moricière arrivait à Tiaret.

Le 27, le gouverneur fut rejoint à El-Esnam par le général Gentil, qui lui amenait de Mostaganem un autre convoi de 70 voitures et de 1,800 mulets arabes. Aussitôt la reconnaissance du terrain faite, on se mit à l’œuvre; le 28, le général Bugeaud prit droit au nord la direction de Tenès avec cinq bataillons, une compagnie de sa peurs, la compagnie de discipline, la cavalerie française et 300 chevaux des goums amenés du bas Chélif par Sidi-el-Aribi. Le 29, il arriva devant Tenès, à onze lieues d’El-Esnam, après avoir fait tirer quelques coups de fusil sur les Kabyles. La route, ébauchée à coups de pioche dans un terrain difficile, lut élargie et consolidée sans relâche les jours suivans. Des matériaux de construction, amenés par mer, purent être dirigés sur El-Esnam du 8 au 10 mai.

Le 11, une grande émigration des Sbéa se trouva prise entre le gouverneur d’une part et le colonel Pélissier de l’autre; elle allait s’échapper en alléguant une soumission déjà faite, et le colonel, trop