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où il eût été trop difficile et surtout trop long de la bloquer. La nécessité de surveiller Abd-el-Kader, qui se tenait en quelque sorte à cheval sur le Chélif, tantôt dans le Dahra, tantôt dans l’Ouarensenis, ne permettait pas au général Gentil de s’éloigner trop du fleuve.

Le 19 mars, il se trouvait chez les Ouled-Khelouf, près du marabout de Sidi-Lekhal. L’enceinte de ce marabout, plus développée qu’à l’ordinaire, formait une sorte de caravansérail ou de fondouk dont le mur était garni à l’intérieur, sur ses quatre faces, d’une série de petites chambres contiguës, couvertes en terrasse et toutes ouvertes sur une vaste cour au centre de laquelle s’élevait la koubba du saint musulman. Une population nombreuse s’était enfermée dans cette enceinte, qu’elle avait crénelée de meurtrières. Une cinquantaine d’hommes armés, se disant Cheurfa, c’est-à-dire descendans ou tout au moins alliés du prophète, étaient sortis au-devant du général, et, tout en lui présentant un cheval de soumission, l’avaient prié, pour ne pas dire sommé, de passer outre. Le général, de son côté, voulait savoir ce qui se cachait derrière cette muraille; il répondit qu’il était décidé à y voir, mais qu’il promettait à tous ceux qui occupaient le marabout la vie sauve. Les députés se retirèrent avec des menaces, et quand l’avant-garde fut à portée, des coups de feu l’accueillirent.

La muraille n’était pas haute : deux compagnies du 32e l’escaladèrent, le colonel en tête ; mais quand elles furent sur les terrasses, une vive fusillade, partie des chambres intérieures, les empêcha quelque temps d’en descendre. Enfin, encouragés par l’exemple du capitaine Hardouin et du sergent Devin, qui sautèrent les premiers dans la cour, les hommes s’y jetèrent après eux; un combat acharné, corps à corps, s’engagea dans chacune de ces niches étroites et sombres, et s’acheva, au bout d’une heure, dans la koubba. On ne connut jamais exactement les pertes des défenseurs ; mais il sortit de l’enceinte sanglante plus de 700 prisonniers, Ouled-Khelouf, Ouled-Sidi-Lekhal et Beni-Zerouel. Cette exécution répandit dans tout l’ouest du Dahra une terreur salutaire et y rétablit la tranquillité pour un temps.

Dans la correspondance échangée, au mois de décembre précédent, entre le général Bugeaud et La Moricière, une question du plus haut intérêt avait été introduite et traitée par celui-ci avec une sagacité pénétrante. « l’occupation de Mascara, et plus tard celle de Tlemcen, par des divisions actives, disait-il, ont en quelques mois plus avancé nos affaires qu’on n’avait pu le faire en dix ans d’expéditions et de combats meurtriers. Si maintenant nous examinons sur la carte l’est de la province entre Chélif et Mina, cette étude nous expliquera de suite la différence des résultats obtenus. Là