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même pas encore votée, fût nécessaire; que le conseil municipal puisse rester un maître d’anarchie à Paris; que les banalités soient de la politique, et que le ministère de M. Tirard soit un gouvernement.

Au fond, sans doute, à voir les choses comme elles sont, ce n’est pas M. le président du conseil qu’on peut accuser. Cette situation, où il a été appelé un peu à l’improviste à la direction des affaires, ce n’est pas lui qui l’a faite. Elle a été créée par une série de ministères, par une succession d’actes de parti, par un système de désorganisation croissante, et il n’y a plus désormais qu’un mot pour la caractériser: c’est la liquidation nécessaire d’une politique jugée par ses œuvres, condamnée par son impuissance même. On aura beau se raidir contre l’évidence importune et essayer encore de se faire illusion : c’est l’inexorable vérité! Elle éclate partout, dans l’affaiblissement des pouvoirs et du sens même de la légalité, dans l’altération des idées les plus simples d’administration et des mœurs publiques, dans la crise des finances, dans l’incohérence parlementaire, dans l’instabilité universelle; elle est attestée par l’instinct profond du pays sentant ce qu’il n’a pas, réclamant une direction, des garanties qu’il a perdues. Que M. Tirard soit quelque peu insuffisant pour la tâche qu’il a acceptée dans ces conditions, et qu’il paraisse ne pas même se rendre compte de ce qu’il aurait à faire, c’est bien facile à voir; mais comment prétend-on le remplacer? C’est là la merveille! Les docteurs républicains ont déjà imaginé le coup de théâtre qui doit tout transformer. Ils proposent ce qu’ils appellent un « grand ministère, » un cabinet composé, avec M. Floquet pour chef de file, d’une foule d’anciens ministres ou présidens du conseil, M. de Freycinet, M. Goblet, c’est-à-dire de tous ceux qui ont été ensemble ou séparément au pouvoir depuis dix ans, qui ont eu la part la plus active dans l’œuvre de destruction dont la France souffre aujourd’hui : de sorte que ce qu’on a imaginé de mieux, c’est de réunir tous ceux qui ont fait le mal, pour le réparer, — en le continuant! Cette concentration républicaine, qui n’a jamais été qu’une chimère, une fiction déguisant l’asservissement des républicains sensés aux radicaux, la capitulation progressive devant les passions violentes, c’est le grand remède, c’est le secret infaillible pour refaire une majorité et un gouvernement! M. Goblet, qui a pris rang dans la campagne nouvelle de concentration républicaine, disait l’autre jour qu’il y avait à se prononcer sur la direction des affaires, sur le choix d’une politique et des alliances nécessaires.

Il y a, en effet, deux politiques en présence : l’une qui a tout épuisé, qui a tout compromis et qu’on veut reprendre en la poussant jusqu’au bout, en allant de plus en plus vers le radicalisme; l’autre qui, avec l’appui de toutes les opinions modérées, peut raffermir tout ce qui est ébranlé, rendre au pays un peu d’ordre et de sécurité, une certaine confiance sous un gouvernement attentif et réparateur. C’est plus que