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désordres financiers, devenus par degrés la fatalité et l’embarras de la situation intérieure de la France. Il faut cependant bien marcher, et on marche tant bien que mal, sans trop savoir où l’on va, avec la bonne envie d’éluder les questions les plus pressantes, si on le pouvait. Gouvernement et parlement sont au moins d’accord sur ce point.

C’est tout au plus si la chambre s’est décidée, ces jours passés, à entreprendre la discussion du budget de l’année courante, et du premier coup elle se trouve assurément ou elle va se trouver dans un assez singulier embarras. Quel budget discute-t-on et se dispose-t-on à voter? il y a, sans compter un vieux programme de la chambre qui se résumait dans un mot trop oublié : « ni emprunt ni impôts nouveaux! » Il y a, sans parler de ce programme platonique, pour le moins trois ou quatre budgets en présence. Il y a le projet de M. Rouvier, qui avait le mérite d’être simple, sans prétention, adroitement combiné, et d’ajourner provisoirement toutes les expériences hasardeuses sur la fortune publique. Il y a le projet de la commission de la chambre, qui croit innover en bouleversant tout, à commencer par la date des exercices et par l’ordre des chapitres du budget, qui a la prétention d’improviser sur l’heure une nouvelle répartition de l’impôt des boissons, une législation nouvelle sur les droits de succession. Il y a les projets partiels et rectificatifs du ministre des finances, président du conseil, M. Tirard, qui, lui aussi, a son système de remaniement de l’impôt sur les boissons. On n’a que l’embarras du choix entre les combinaisons variées dues à l’imagination des expérimentateurs financiers. La vérité est que le meilleur de ces budgets n’était qu’un expédient de circonstance, que dans tous les autres il y a plus de conceptions chimériques que de vues réalisables ; et ce qu’il y a en définitive de plus frappant, c’est qu’à côté d’une chambre mobile, ignorante, passionnée, il manque un gouvernement réglant la marche, donnant l’impulsion, en cela comme en tout. On demande un gouvernement, c’est le désir du pays, c’est le vœu universel : il est douteux que ce soit le ministère Tirard qui donne au pays ce qu’il demande, l’autorité directrice et modératrice sans laquelle il risque de rester indéfiniment livré au hasard des expériences de parti et des fantaisies stérilement agitatrices.

Ce n’est point, assurément, que ce ministère Tirard, le premier de la présidence nouvelle, manque de bonnes intentions : qu’aurait-il donc, s’il n’avait pas de bonnes intentions? Son malheur est de ne point avoir un prestige bien imposant et une originalité bien marquée, de ne pas suppléer du moins à l’éclat des talens par quelques idées simples et sensées, par la précision de la volonté. Il semble, pour tout dire, honnêtement impuissant, assez disposé à se prêter à tout sans mauvaise préméditation, pourvu qu’on n’aille pas trop loin, — Et