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énumérés et marqués par lui-même, les traits essentiels de la physionomie politique d’Hugo.

Ce qui deviendrait alors extrêmement intéressant, ce serait d’examiner de quelle évolution de la langue ces métaphores ont à leur tour été le point de départ et l’instrument. Car ce n’est pas seulement la poésie qui vit d’images, mais ce sont les langues elles-mêmes, dont une perpétuelle invention de métaphores nouvelles peut seule contrebalancer la tendance à devenir de pures algèbres. Les mêmes mots, — dont le nombre importe peu, — se chargent en quelque sorte, s’enrichissent, et se nuancent de la diversité des emplois que l’on en a faits. Les faire donc passer du concret à l’abstrait, du propre au figuré, du simple au composé, de l’individuel au général, du semblable au contraire, de la désignation du tout à celle de la partie, quoi encore? C’est la vraie manière, c’est la bonne, en tout cas, d’accroître les ressources des langues; et c’est ici la définition même des différentes espèces de métaphores ou de tropes. Qu’est-ce que nous devons à Hugo en ce genre ? de quelles translations de sens a-t-il été l’inventeur? de quelles catégories d’objets négligés, dédaignés, ou méprisés avant lui, a-t-il été tirer ses métaphores? quelles significations nouvelles, depuis lui et grâce à lui, se sont greffées sur les mots anciens? quelles combinaisons inaperçues, latentes, et comme enfouies dans les colonnes des Dictionnaires, en a-t-il dégagées, réalisées, et rendues vulgaires à leur tour? Là est le véritable intérêt, philologique et littéraire, linguistique et poétique, d’un Dictionnaire des métaphores d’Hugo. Car, on serait étonné, si l’on voulait les compter, du nombre de mots qu’il a pu faire, comme il s’en vantait, rentrer dans la langue du XIXe siècle. Mais on le serait bien plus encore du nombre de rapports nouveaux qu’il a su découvrir ou établir entre ceux qui n’appartenaient pas moins à la langue du XVIIe qu’à celle du XIXe siècle. Et cela, quoi qu’on en ait dit, non-seulement sans faire de violence à cette langue, mais en demeurant aussi « Français » que pas un de nos grands écrivains, procédant à la façon du langage populaire, capable, comme lui, de bassesse ou de grossièreté, mais fidèle au génie de la langue, et souvent incompréhensible, ou plus souvent encore insoutenable, mais toujours correct et toujours contenant, selon son expression, le Vaugelas du XXe siècle, le législateur du vocabulaire dont il aura été le créateur. Heureux, s’il avait mis sous ses mots et dans ses métaphores autant d’idées qu’ils ou elles ont d’éclat, et si le penseur, en lui, sans l’égaler, avait du moins approché de plus près l’écrivain !

Non point du tout que, pour notre part, nous le trouvions aussi pauvre d’idées qu’on l’a bien voulu dire et qu’on le répète peut-être trop complaisamment. Sans doute, il n’a été ni Hegel, ni Schopenhauer, ni Auguste Comte, ni Stuart Mill, ni Geoffroy Saint-Hilaire, ni Darwin. Mais, comme le populaire, s’il s’embrouille quand il fait le projet de penser,