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n’eut aucune raison de le faire et qu’il entreprit une œuvre inutile ? Je ne le crois pas. En vérité, c’est moins à une secte particulière qu’il en veut qu’à une tendance générale de l’esprit antique, qui, malgré la diversité des temps, pouvait encore survivre chez quelques personnes. Les Grecs, on le sait, étaient plus curieux de problèmes que de solutions. En toute chose, le plaisir qu’ils prennent sur la route les rend moins impatiens d’arriver au but. La philosophie leur semble plutôt un moyen d’exercer leur intelligence que de conquérir la vérité. Aristote l’appelle « l’activité libre d’une âme sans besoin. » À l’époque de saint Augustin, cette définition n’était plus de mise : les âmes alors avaient besoin de croyances solides, et comme la philosophie avait peine à les leur donner, elles les demandaient à la religion. C’est ce qui les amenait de tous les côtés au christianisme. Si l’on avait pu se contenter de cette demi-obscurité où nous laissent les discussions des sages et s’y endormir en paix, on aurait eu moins de raison de devenir chrétien. On peut donc dire que saint Augustin, en consacrant trois livres entiers à soutenir, contre les académiciens, que ce n’est pas la recherche, mais la possession de la vérité, qui nous rend heureux, n’a pas perdu tout à fait son temps. Il avait l’air de discuter des idées passées de mode et d’attaquer une école disparue ; en réalité, il défendait sa foi. C’est ce qu’il a fait aussi dans son traité de la Vie heureuse. Ce titre nous rejette au milieu de la philosophie grecque et romaine ; toutes les sectes anciennes se sont posé le problème du bonheur, et chacune a essayé de le résoudre à sa façon. Varron prétend qu’il est susceptible de deux cent quatre-vingt-huit solutions différentes, qui presque toutes ont été défendues par quelque sage. Saint Augustin le reprend à son tour, et d’abord il semble qu’il ne fait guère que suivre la route commune. Quand il nous dit que le bonheur consiste dans la sagesse et la sagesse dans une sorte d’équilibre de l’âme, je crois entendre parler un philosophe d’autrefois ; mais bientôt le chrétien se montre. Cet équilibre, ajoute-t-il, ne peut être obtenu que si l’on connaît et l’on possède Dieu. Nous voilà ramenés ainsi à la solution chrétienne : c’est en Dieu que resplendit la vérité, et l’âme ne sera pleinement heureuse que par celui qui peut seul rassasier la soif qu’elle a de savoir, illa est igitur plena satictas animorum hœc est beata vita, pie perfecteque cognoscere a quo inducaris in veritatem. À ces mots, la bonne Monique se reconnaît : c’est bien la vie heureuse comme elle se la figure, comme la lui montrent ces livres sacrés dont elle fait sa lecture ordinaire, celle à laquelle on arrive « conduit par la foi, porté par l’espérance, soutenu par la charité ; » et, dans sa joie, elle entonne l’hymne de saint Ambroise :


Fove precantes, Trinitas.