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entrer à l’Ecole normale mènent la même existence que les candidats aux écoles spéciales. Ce sont les mêmes émotions, les mêmes angoisses, les mêmes efforts désespérés au moment suprême de la lutte, et elles ont moins de force pour les supporter. Sur quatre à cinq cents jeunes filles de quinze à dix-huit ans qui se présentent chaque année au concours pour l’École normale du département de la Seine, on en reçoit vingt-cinq. Comme elles sont internées, qu’on les défraie de tout, et qu’on leur garantit, à la sortie, une place dans les écoles primaires du département, on conçoit l’ardeur qu’elles déploient dans la lutte pour y arriver.

Celles qui y parviennent ont déjà épuisé leur santé par l’effort qu’il a fallu faire pour l’emporter sur les autres. La plupart sont atteintes de chlorose, d’anémie et d’une irritabilité qui confine à la névrose. Une fois admises à l’École normale, elles continuent leur vie de travail, car il faut qu’elles obtiennent le brevet élémentaire à la fin de la première année, celui des écoles maternelles à la fin de la seconde, et enfin, à l’expiration de leurs trois années, le brevet supérieur, sans compter celui de coupe et de gymnastique. Toutefois, le régime de l’école est pour elles un allégement. Il est moins dur que celui des écoles spéciales. Elles ont huit heures et demie de sommeil, dix heures de classe, et cinq heures pour les repas et les récréations. C’est du moins ce qui a lieu à l’École normale de la Seine. Dans cet établissement, elles ont un jardin où elles peuvent se divertir en liberté, où les études se tiennent même pendant les beaux jours de l’année; on y a disposé un gymnase couvert et des salles de récréation. Elles sont bien nourries, les dortoirs sont spacieux et bien aérés; elles trouvent, en un mot, dans cette maison, un confortable dont elles ne jouiraient pas dans leurs familles. Aussi la plupart d’entre elles se remettent-elles peu à peu. L’exercice quotidien, la gymnastique, l’hydrothérapie, la tranquillité d’esprit succédant aux émotions de la lutte, la surveillance maternelle à laquelle elles sont soumises, rétablissent l’équilibre dans leur santé à mesure que leur séjour dans l’école se prolonge. Les maladies y sont rares, et, sauf un peu de pâleur, l’aspect des élèves est satisfaisant.

Quel que soit le mobile qui entraîne les jeunes filles dans cette voie de travail à outrance, les conséquences en sont déplorables. L’immobilité, le silence, le séjour prolongé dans des classes encombrées, la contention perpétuelle d’esprit, déterminent chez elles les mêmes maladies que chez les garçons. Celles du système nerveux présentent même un caractère plus grave, si l’on s’en rapporte aux observations faites à l’étranger. M. Alphonse de Candolle a signalé, pour la Suisse, la proportion considérable des jeunes filles se destinant à l’enseignement qui entrent dans les asiles d’aliénés, et le