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pendant que je m’éloignais, elles venaient murmurer à mon oreille et me tirer par derrière. C’en était assez pour me retenir, et je ne me sentais plus capable de faire un pas, quand j’entendais ces anciennes habitudes me dire : Pourras-tu vivre sans nous ? ».

La lutte, pourtant, touchait à sa fin. Après tant d’émotions, d’incertitudes, de combats, Augustin en était à ce point d’attente impatiente et de surexcitation fébrile où les moindres circonstances prennent une signification particulière. Il nous raconte qu’un jour, étendu sous un arbre, dans le petit jardin de sa maison, il pleurait et gémissait, se reprochant sa lâcheté, s’exhortant à faire un dernier effort et à briser ses dernières chaînes, lorsqu’il entendit une voix d’enfant qui, de la maison voisine, répétait en chantant cette sorte de refrain : « Prends et lis ; prends et lis. » Ces mots lui parurent un avertissement du ciel, et ouvrant au hasard les Epitres de saint Paul, qu’il avait sous la main, il tomba sur le passage suivant : « Ne vivez pis dans les festins et dans l’ivresse, dans l’impudicité et la débauche ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à contenter votre chair par les plaisirs des sens. » L’apôtre semblait parler pour lui. « Aussitôt, nous dit-il, il se répandit dans mon âme comme une lumière qui lui donna le repos, et tous les nuages de mes doutes se dissipèrent en même temps. »

Cette fois il était vaincu : sa résolution fut prise de quitter définitivement le monde. Comme on approchait des vacances de septembre[1], il annonça qu’il ne remonterait pas dans sa chaire à la rentrée. Un de ses amis, Vérécundus, professeur à Milan comme lui, possédait dans les environs une maison de campagne appelée Cassusuacum. Il la mit à la disposition d’Augustin, qui s’y retira pour se préparer au baptême.


III.

Jusqu’ici nous avons suivi fidèlement le récit des Confessions ; c’est le seul où saint Augustin nous ait conservé le souvenir de sa jeunesse. Mais pour l’époque où nous arrivons, nous sommes plus riches. Il a beaucoup écrit pendant son séjour à Cassisiacum, et

  1. Vers cette époque, un édit de Théodose et de Valentinien II régla définitivement les vacances pour les tribunaux de l’empire et vraisemblablement aussi pour les écoles. C’étaient d’abord deux mois à la fin de l’été « pour éviter les chaleurs de la saison et cueillir les fruits de l’automne, œstivis fervotibus miligandis et autumnis fœtibus decerpendis, » puis quinze jours à Pâques et trois jours au premier de l’an. Dans l’année, on avait congé tous les dimanches, à l’anniversaire de la naissance de l’empereur et de son avènement, et pour la fête de Rome. Il est remarquable que, quand tant de choses ont changé depuis quinze siècles, les congés soient restés à peu près les mêmes.