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de la simplicité des moyens et de la puissance de l’effet, au point de vue de la relation, tant étudiée aujourd’hui, entre les paroles, ou même la pantomime, et la musique, rien n’approche de ce chef-d’œuvre. L’art y exprime si fidèlement et si précisément la nature, que, dans les théâtres allemands, le bruit de la cascade, une cascade véritable, s’harmonise avec les bruits de l’orchestre, au point de se confondre avec eux. Le trémolo du début, d’abord sur des accords étranges, puis sur l’appel lugubre ou strident des esprits de ténèbres, c’est le frisson des nuits du Nord, humides et froides. Tout fait peur dans cette scène : tout jusqu’à la voix de Samiel, cette voix parlée qui se détache sur le fond musical, jusqu’à ces grandes pauses ménagées à dessein, et qui laissent entendre le silence.

Annoncé par des harmonies mystérieuses, Max paraît sur les rochers. Un brusque accord de cuivres découvre l’abîme, et le vertige envahit d’un seul coup l’âme du chasseur. Sans être aussi élevée qu’elle le paraît, la première note de Max exprime l’instantanéité de l’épouvante, le recul devant un précipice. Max commence à descendre, et l’orchestre incertain se traîne sur ses pas. Sa voix roule à travers la vallée ; il croit entendre dans l’écho les ricanemens de Gaspard, l’aigre persiflage qui naguère a raillé sa défaite. Des fantômes lui barrent le chemin, des hiboux le frôlent de leurs ailes cotonneuses. Nous voici devant l’un des chefs-d’œuvre du génie humain. Plus on réentend, plus on relit la Fonte des balles, plus on se convainc que Wagner n’est pas le premier symphoniste dramatique, même en date. Il n’a jamais rien créé d’aussi parfait; il n’a jamais atteint à cette puissance, jamais surtout gardé cette mesure. Des creusets de Gaspard, les idées sortent moulées comme les balles. Tout est rendu : le frémissement du métal en fusion, l’orage, les spectres, la chasse infernale avec l’aboiement rauque des cors; enfin un écroulement de modulations sauvages ramène la tonalité primitive.

Après cette nuit d’épouvante, le soleil éclaire la chambre où s’éveille la fiancée. Sur le front de la jeune fille aucun souffle de tempête n’a passé. Elle a tout ignoré des mystères infernaux, son chant s’élève aussi pur le matin que le soir. Avec la nuit, son inquiétude s’est dissipée ; elle rouvre les yeux à l’aube rassurante. Ce second air d’Agathe est plein de lumière et de sérénité : plus de crainte comme dans le premier ; au contraire, la foi de la jeunesse et la sécurité de l’espérance. Là encore on sent la nature, et, derrière la croisée, on devine la campagne embaumée, l’été, les blés mûrs et les moissonneuses d’Allemagne aux joues vermeilles, aux tresses blondes. Quelle puissance d’évocation possède la musique ! Voilà la