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quatre morceaux qui composent la Symphonie pastorale, le dernier seul pourrait se passer de titre et rester néanmoins le tableau le plus exact et le plus complet que la musique ait fait d’un orage Les oreilles, les nerfs de personne ne s’y tromperont jamais. Depuis les premières mesures du finale, depuis ce grondement des timbales qui interrompt la bourrée des paysans, depuis ce frisson inquiet de la nature menacée, jusqu’au déchaînement complet de la tempête, pas un détail atmosphérique ne saurait être méconnu C’est qu’un orage est un ensemble de phénomènes, sonores pour la plupart, qu’il est au pouvoir et dans la nature de la musique de reproduire. Elle arrive même, par une substitution curieuse à transformer des sensations visuelles en sensations auditives par exemple à rendre sonore dans le finale en question la muette fulguration de l’éclair. Il en est tout autrement des trois premiers morceaux de la Symphonie pastorale ; ils sont beaucoup plus vagues et l’on n’en devinerait guère le thème extramusical, s’il n’était indiqué d’avance.

Mais ce thème une fois indiqué, ne fût-ce que d’un mot, la musique le développe et le fortifie singulièrement. Il n’est pas, dans un musée ou dans un livre, de paysage comparable à la scène au bord du ruisseau. Aucun tableau, aucune page de prose ou de poésie ne donne aussi intenses la sensation et le sentiment de la nature. Sensation et sentiment, dans cette dualité d’impressions consiste l’étonnante beauté de cet adagio. On y trouve d’abord l’imitation évidente de certains phénomènes naturels : le ruisseau murmure du milieu des roseaux s’échappent des arpèges de flûtes brillans comme le vol des martins-pêcheurs ou des libellules ; des trilles frisés rident le courant de remous argentés ; l’eau coule au soleil, et la mélodie coule avec elle. Plus cette longue phrase se déroule, plus notre esprit la suit et s’enfonce dans une contemplation que connaissent bien les riverains des fleuves tranquilles. Couché sur le gazon, bercé par la fuite d’une rivière, vous êtes-vous senti parfois descendre au plus profond de vous-même ? — Alors la vision du dedans s’affine de plus en plus par sa fixité même; alors, comme dit Goethe, s’éveille le chœur charmant des harmonies intérieures. Vous ne pensez plus au ruisseau ; son chant n’est plus que l’accompagnement de vos rêves. De même, dans le sublime adagio, cette basse qui ondule sans cesse accompagne, soutient les fantaisies délicieuses écloses sur son frêle murmure. Et ce qui rend une pareille scène plus belle en musique que dans la nature, c’est qu’au bord du ruisseau véritable, notre pensée, pauvres âmes humaines, finit par s’égarer et s’anéantir, tandis qu’une pensée supérieure conduit ici la nôtre et lui épargne les détours et les erreurs du