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Haydn a tâché, dans l’introduction, de peindre le Chaos. L’on peut sourire, aujourd’hui, de cet effort vers l’obscurité, vers la confusion, d’un génie si clair et si ordonné, qu’il le demeure en dépit de lui-même. Avec ses dissonances timides, ses modestes contrastes de force et de douceur, ce Chaos, jadis le comble du désordre, nous paraît tout à fait rangé. Mais qu’importe? Ne demandons plus à cette symphonie l’image du Chaos. Écoutons avec candeur, comme le bon Haydn a dû l’écrire, la préface mystérieuse de l’œuvre, et nous y trouverons encore, à défaut de l’exactitude pittoresque, la gravité de la pensée et la grandeur de l’inspiration.

Les premières pages répondent au prélude. Le récit de l’archange Raphaël : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, est d’une ampleur admirable. Le Fiat lux éclate comme la lumière à l’appel de Dieu. Haydn emploie ici un effet que l’usage a depuis lors discrédité : la brusque résolution, avec opposition de forte et de piano, du mineur en majeur. Elle amène une impression très vive d’épanouissement et d’éclaircie.

Ce premier et vigoureux coup de brosse ne tarde pas à s’atténuer. Un air d’Uriel, un cantique des anges ne sont qu’aimables; les détails du vent, de la foudre, de la grêle, de la pluie et de la neige paraissent quelque peu puérils. L’air de basse consacré aux eaux vaut mieux : il offre des oppositions assez naïves, mais sensibles pourtant, entre le tumulte de la mer, la majesté des fleuves et la grâce des ruisseaux. Le petit ruisseau, comme dit Stendhal, est rendu avec un bonheur rare, et si de ces tableaux la couleur a pâli, le dessin au moins reste pur. Et puis il y a dans ces premiers essais de musique pittoresque une grâce d’enfance qui charme.

Il y a aussi, malheureusement, de la monotonie : air des fleurs naissantes, air des oiseaux ou des quadrupèdes, création de l’air et des eaux, de la lune et des étoiles, tous ces détails se ressemblent trop ; toutes ces nuances de l’être universel sont trop ténues pour qu’on les distingue en musique, surtout dans une musique presque primitive, ignorante encore de mille secrets aujourd’hui devinés. La majesté du lion, la souplesse de la panthère, la douceur des agneaux, le vol audacieux de l’aigle, les roucoulemens de la colombe, la gaîté du pinson, la mélancolie du rossignol, tout est noté. Chaque bête a sa place dans l’harmonieuse ménagerie. Mais ces petits effets épars ne donnent point un effet d’ensemble; ils rapetissent l’œuvre au lieu de l’agrandir. Une vue du Jardin des Plantes n’a jamais été un beau paysage.

Stendhal rapporte que Haydn préférait la Création aux Saisons, parce que, dans le premier ouvrage, des anges chantaient, et dans