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Apulée, Africain comme nous, et qu’à ce titre nous connaissons mieux. Avec tous ses artifices, il ne put parvenir, je ne dis pas au souverain pouvoir, mais à la moindre charge judiciaire. Sa famille était pourtant l’une des plus honorables de son pays; il avait reçu une éducation libérale et était doué d’une grande éloquence. Peut-être, après tout, faisait-il profession d’un dédain philosophique et se trouvait-il grandement honoré d’être pontife d’une province, de faire célébrer des jeux, d’habiller des chasseurs. A l’occasion d’une statue qu’on voulut lui élever dans OEa, ville où était née sa femme, il porta la parole contre ses envieux ; afin que cette circonstance ne fût pas ignorée de la postérité, il a eu soin d’en consigner le souvenir en écrivant son discours. Ainsi, pour ce qui tient au bonheur de ce monde, il a été heureux autant qu’il l’a pu ; s’il n’a été rien de plus, ce n’est point qu’il ne le voulût pas, c’est qu’il ne le pouvait pas. Cependant, quand on lui intenta une accusation de magie, il se défendit avec une grande éloquence. »

Tout en rendant hommage au mérite de l’orateur et du philosophe, saint Augustin ne laisse échapper aucune occasion de railler ses exploits magiques et de combattre les préventions aveuglées de la foule. Un jour, on mit l’évêque en demeure de partir ouvertement en guerre contre le sorcier de Madaura. Marcellin écrivait à son ami: « Je joindrai en cette occasion mes prières à celles des fidèles; car je suis plein de confiance dans l’efficacité de vos ouvrages. Daignez dans votre zèle réfuter les impies; à les entendre, Notre-Seigneur n’a rien fait que n’aient pu faire d’autres hommes; et pour preuve ils nous présentent leur Apollonius, leur Apulée et d’autres magiciens habiles, dont ils prétendent que les miracles ont été plus surprenans.» Saint Augustin, dans ses réponses à Marcellin, discute la question : il conclut qu’il faut rire de ces prétentions sacrilèges. Et il invoque tous les miracles de l’ancien et du Nouveau-Testament. « Parlons, dit-il, de l’aventure de Jonas. En peut-on citer une semblable d’Apulée de Madaura, d’Apollonius de Tyane? On vante pourtant leurs prodiges, que ne démontre aucune autorité fidèle... Il est vrai que les démons peuvent accomplir quelques miracles, comme les saints anges; non par la vérité, mais par la plus insigne fourberie. Malgré cela, ose-t-on attribuer quelque merveille de ce genre à ces hommes qu’on croit honorer en les nommant philosophes ou magiciens? »

Mais les évêques africains eurent beau discuter et railler, l’imagination du peuple confondit de plus en plus l’auteur et les héros des Métamorphoses. On prêta au romancier toutes les aventures du roman, même celles dont le récit est simplement imité ou traduit de l’original grec. La légende a laissé une trace jusque dans