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Quand il s’agit de ses croyances, Apulée n’entend pas raillerie. Tout le dernier livre de l’Ane d’or a été ajouté par lui au canevas grec. Voyez alors avec quelle gravité, quel recueillement, quelle simplicité éloquente il décrit la procession et les mystères d’Isis. Il est dans l’isthme de Corinthe, près du port de Cenchrées, au bord du golfe d’Égine. Il fait nuit. Tout à coup, il se réveille effrayé. Il voit autour de lui une lumière éblouissante: c’est la pleine lune, dont le disque radieux effleure la cime argentée des flots. « La nuit, le silence, la solitude, tout portait au recueillement. Je savais aussi que la lune, déesse souveraine, exerce un pouvoir incomparable et gouverne ici-bas toutes choses par sa providence. Je savais que non-seulement les animaux domestiques ou sauvages, mais encore les objets inanimés subsistent par la divine influence de sa lumière et de ses propriétés. Je savais que sur la terre, dans les cieux, au fond des eaux, l’accroissement ou le déclin des corps est soumis à ses lois. Puisque le destin, rassasié de mes longues et cruelles infortunes, m’offrait enfin un espoir de salut, je voulus implorer sous son emblème auguste la déesse que j’avais devant les yeux. » Alors il se lève, et sept fois, selon le précepte de Pythagore, il se purifie en plongeant sa tête sous les flots. Puis, en termes magnifiques, il invoque la lune, en qui il personnifie Cérés, Vénus, Phébé, Proserpine, toutes les grandes divinités féminines. Soudain, de la mer s’élève une forme étrange. C’est une femme d’une beauté merveilleuse; elle porte sur le front un cercle lumineux, une couronne de fleurs, de vipères et d’épis. Sa robe aux mille nuances a tour à tour l’éclat de l’albâtre, les reflets dorés du safran, l’incarnat de la rose. Elle est drapée d’un manteau noir, enguirlandé de fleurs et brodé d’étoiles. Elle est chaussée de feuilles de palmier. Elle tient à la main un vase d’or en forme de gondole, dont l’anse est surmontée d’un aspic, et un sistre d’airain traversé par trois lames qui s’entre-choquent avec un tintement aigu. Elle réunit dans une synthèse mystique tous les symboles des divinités d’Orient, zJe suis, dit-elle, la Nature, mère des choses, maîtresse de tous les élémens, origine et principe des siècles, souveraine des divinités, reine des mânes, la première entre les habitans du ciel, type commun des dieux et des déesses. C’est moi qui gouverne les voûtes lumineuses du ciel, les souffles salubres de la mer, le silence lugubre des enfers. Puissance unique, je suis par l’univers entier adorée sous mille formes, avec des cérémonies diverses et sous des noms différens... Les Égyptiens, si admirables par leur antique sagesse, m’honorent seuls du culte qui me convient ; seuls, ils m’appellent par mon véritable nom, la reine Isis... Si par un culte