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des cultes mystiques et grossiers de l’Orient, la fusion des mythologies, l’affaiblissement de l’esprit critique, la stérilité des études philosophiques, que remplaça trop souvent une érudition confuse, ruinèrent presque complètement l’ancienne religion aristocratique des classes élevées. On n’eut plus de choix qu’entre la superstition et le scepticisme absolu. Or, rien n’égale la crédulité des sceptiques, de ceux du moins qui n’ont pas un point d’appui solide dans les principes d’une science positive. Les Romains les plus instruits finissaient par accepter, les yeux fermés, les cultes les plus bizarres, qui leur assuraient au moins la paix de l’âme. Quand on ne croit plus au bon Dieu et qu’on ne croit pas encore à la science, on n’est pas loin de croire au diable. Quand on ne domine point par la pensée les lois de la nature, on les subit, on s’abandonne au jeu de l’aveugle destin, ou l’on cherche à le forcer; de là sont nées la superstition et la magie. Dans l’Afrique romaine, tout le monde admettait la réalité des enchantemens. C’est la patrie de Manilius, qui, dans son singulier et puissant poème des Astronomiques, soumet la nature et l’homme tout entier à l’influence des astres. Même les évêques africains ont cru à l’efficacité des sortilèges ; ils les condamnaient avec d’autant plus d’emportement, comme des œuvres diaboliques. Apulée n’a pas échappé à la loi commune. Il a beau se réclamer sans cesse de l’autorité d’Aristote et invoquer ses recherches scientifiques; même dans son laboratoire, au milieu de ses instrumens, il ne connaissait pas la limite où cesse l’observation rigoureuse, où commence le rêve. Ce qui fait le savant, ce n’est pas le goût de la science, c’est la méthode. Apulée voulait tout étudier, tout embrasser. Cette ambition démesurée le rendait suspecta la foule, qui finit par voir en lui un sorcier. Et, de fait, cet ardent désir de s’instruire que ne réglait point le sens critique, devrait le livrer plus qu’un autre à toutes les rêveries du mysticisme et des sciences occultes.

Le trait le plus frappant dans l’existence et dans les ouvrages d’Apulée, c’est son immense et insatiable curiosité. Il voulait avoir tout vu et tout lu, pour être en état de parler de tout. Ce travers qu’il connaissait par expérience, il l’a prêté aux divers personnages de son roman des Métamorphoses, surtout à son héros. Pendant que Lucius traverse à cheval les gorges pittoresques du mont OEta, il écoute avec ravissement les merveilleux récits de ses compagnons sur les exploits des sorcières. Une fois en Thessalie, son imagination surexcitée ne connaît plus de frein : «Me voilà donc, disais-je, au milieu de cette Thessalie, terre classique des enchantemens, célèbre à ce titre dans le monde entier; en cette ville même où s’est passé l’événement que nous racontait, chemin faisant, ce brave Aristomène. Pourtant, je ne savais où diriger mes vœux et