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l’existence du philosophe et du brillant conférencier de Carthage. La conviction du plus grand nombre finit par prévaloir; aux siècles suivans, même les païens les plus instruits et les évêques chrétiens ont admis la puissance magique d’Apulée. Quand les lettrés se furent rangés aussi à l’opinion commune, ils contribuèrent encore à fortifier la légende; car ils furent avec des yeux prévenus les différentes œuvres du philosophe et y découvrirent de nouvelles preuves de ses enchantemens. « Suis-je donc magicien, parce que je suis poète? » avait dit Apulée dans sa défense. Non, assurément; et pourtant, quand on étudie ses ouvrages, on s’explique encore que des lecteurs, convaincus de son pouvoir magique, y aient trouvé souvent la confirmation de leur croyance.

Il semble, d’ailleurs, que la même confusion s’était parfois produite dans l’esprit d’Apulée. Entre lui et la foule, le dissentiment ne portait guère que sur la question de fait. Les accusateurs avaient invoqué en général des griefs absurdes; mais peut-être, au fond, n’avaient-ils pas entièrement tort. Apulée paraît croire lui-même à la magie : il démontre seulement qu’il n’y a pas recouru. C’est pour lui une science criminelle, mais dont il est bien près d’admettre la réalité.

Souvent, dans son Apologie, il ne répond pas directement à la question posée. Il s’arrête longtemps aux griefs secondaires ; il discute avec complaisance certaines insinuations rapides de ses adversaires ; il parle avec esprit de sa belle prestance, de ses miroirs, de son orgueilleuse pauvreté. Quand il arrive à l’accusation même, il joue sur les mots : «J’ai, dit-il, grande envie de demander à ces savans avocats ce que c’est qu’un magicien. J’ai lu dans beaucoup d’auteurs que ce mot signifie dans la langue des Perses ce que le moi prêtre signifie dans la nôtre; en ce cas, quel crime est-ce donc d’être prêtre? » Et l’avocat retors cite un passage de Platon où la magie désigne le culte des dieux. C’était vraiment se moquer un peu des juges; le terme employé par les accusateurs désignait si nettement des pratiques coupables, qu’on le lisait, avec ce sens, dans les ouvrages des jurisconsultes romains, même dans la vieille loi des Douze tables. Apulée continue de tourner autour de la question et s’amuse de ses propres idées. « Maintenant, dit-il, prenons le mot dans le sens vulgaire ; entendons par magicien celui qui entretient un commerce avec les dieux et qui, par la force incroyable de ses enchantemens, accomplit tout ce qu’il veut : en ces conditions, accuser un homme de magie, c’est avouer qu’on ne l’en croit pas coupable; autrement, on redouterait sa colère, dont rien ne vous pourrait défendre. » Puis on l’entend plaisanter sur l’invraisemblance des opérations magiques qu’on lui attribue. Tout à coup, il