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tout à coup qu’Apulée est un magicien et que j’ai été ensorcelée par lui. Eh bien ! oui, je l’aime, venez donc à moi pendant que je n’ai pas encore perdu tout à fait la raison. »

La réplique était triomphante; l’examen du document incriminé tranchait la question. Ainsi s’écroulait tout l’échafaudage des ennemis d’Apulée. Mais l’orateur ne se tient pas pour satisfait s’il ne poursuit ses adversaires dans leurs dernières retraites. Il trace d’eux d’amusans portraits en charge. Rufinus est la fournaise d’où sortent toutes les calomnies. Son père, un escroc, tenait plus à l’argent de ses créanciers qu’à son honneur. Il ne pouvait plus faire un pas dans la rue sans être arrêté par tout le monde, comme un aliéné. « Faisons la paix, avait-il dit un jour à ses dupes; je ne puis payer; je vous abandonne mes anneaux d’or, tous les insignes de mon rang. Çà, mes créanciers, transigeons. » Il venait de placer tous ses biens au nom de sa femme. C’est ainsi que Rufinus avait reçu en héritage 3 millions de sesterces. Le glouton eut bientôt tout dévoré, comme s’il eût craint de rien devoir aux escroqueries de son père. Apulée nous conduit dans ce joli intérieur de famille. A peine né, Rufinus était connu au loin pour toutes sortes d’infamies. Enfant, du temps où il avait des cheveux, il avait pour les passans toutes les complaisances. Jeune homme, il figurait dans les pantomimes; sa danse flasque, sans goût et sans grâce, était celle d’un homme qui n’a ni os ni nerfs. On disait de lui : tout ce qu’il a de l’histrion, c’est l’impudicité. Maintenant, sa maison n’est qu’un infâme tripot. Jour et nuit, les jeunes gens s’y donnent de joyeux rendez-vous; on n’entend que coups de pied dans les portes, chansons aux fenêtres, tapage d’ivrognes. Le logis conjugal est ouvert à tous ; on peut entrer hardiment, à charge de payer une redevance au mari, qui met un impôt sur son déshonneur. Aussi quelle harmonie dans le ménage ! A-t-on bien payé? personne ne vous a vu, on sort quand on veut. Votre bourse était-elle trop plate? à un signal donné, quelqu’un crie à l’adultère; et, comme dans les écoles, on ne sort point avant de signer un papier. Peu à peu, cependant, la femme se fait vieille et se casse ; alors on compte sur la fille, sur le fard de sa figure, sur le vermillon de ses joues, sur le jeu de ses prunelles. Un beau jour, à la grande joie du quartier, la demoiselle épouse Pontianus, le fils de Pudentilla. Quand Pontianus meurt, on attire son jeune frère Pudens, qui prend la place, car il faut à tout prix garder la fortune conquise. Pudens est un innocent dont on joue comme d’une marionnette. Du jour où il a quitté la maison de sa mère, il a cessé de fréquenter les écoles. Il ne parle plus que la langue punique ; à peine s’il se rappelle quelques mots de grec; au cours du procès, interrogé par les magistrats,