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« Supposons, dit-il, que Pudentilla m’ait traité positivement de magicien ; ne conçoit-on pas bien que, pour s’excuser auprès de son fils, elle ait pu prétexter mon ascendant plutôt que sa passion? Phèdre est-elle la seule qui ait écrit un faux billet pour servir son amour? Toutes les femmes, quand elles ont conçu un désir de ce genre, ne rusent-elles point et ne veulent-elles pas avoir l’air de céder par contrainte? Supposons même que Pudentilla m’ait cru de bonne foi un magicien : est-ce à dire que je serai magicien parce qu’elle l’aura écrit? Vous qui multipliez les argumens, les témoins, les paroles, vous ne pouvez parvenir à me convaincre de magie, et d’un mot elle y réussirait! Un acte d’accusation est, en somme, plus grave qu’une lettre privée : c’est par mes actions, et non avec les paroles d’autrui, qu’il faut me convaincre. À ce compte, bien des hommes seront traînés en jugement comme coupables de maléfices, si l’on regarde comme concluant tel ou tel passage d’une lettre dictée par l’amour ou par la haine. — Pudentilla écrit que vous êtes magicien, donc vous l’êtes. — Alors, si elle eût écrit que je suis consul, je serais donc consul? Si elle eût écrit que je suis peintre, ou médecin, enfin que je suis innocent, la croiriez-vous sur parole? Non, vraiment. Or il est souverainement injuste d’accepter contre un homme le témoignage qu’on récuserait pour sa justification: si une lettre peut perdre un homme, elle doit pouvoir aussi le sauver. — Mais elle était extrêmement agitée: elle était folle de vous. — Je l’accorde pour un moment. Est-ce à dire que tous les hommes aimés par des femmes seront magiciens parce qu’elles l’auront écrit? » Puis, Apulée reprend ligne par ligne la lettre incriminée et montre avec quelle habile perfidie on en a dénaturé le sens. On avait exploité adroitement l’opinion malveillante de la foule. On isolait la phrase citée plus haut et on la faisait lire à qui voulait; on cachait le reste de la lettre; c’étaient, disait-on, des turpitudes à ne pas montrer; on voulait seulement constater l’aveu de Pudentilla relatif aux maléfices du galant. Et Rufinus s’était démené sur la grande place, vociférant à pleins poumons, ouvrant la lettre à tout moment, demandant justice: « Apulée est un magicien, criait-il. Voici l’aveu de sa victime. Que faut-il de plus? » Heureusement, le philosophe avait pu faire prendre copie de la pièce; il se trouva que le contexte donnait un tout autre sens à la phrase de Pudentilla et justifiait pleinement l’accusé. On y lisait, en effet : « Je voulais donc, pour les raisons que j’ai dites, prendre un mari; c’est toi-même qui m’as engagée à préférer celui-ci à tout autre; tu parlais de lui avec admiration ; tu n’aspirais qu’à le faire entrer par moi dans notre famille. Mais, depuis que des gens pervers et malintentionnés vous ont tourné la tête, voilà