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tion d’attributions en Allemagne où, à côté du ministre de la guerre, responsable devant les chambres, existe une autorité indépendante, le chef d’état-major-général, délégué et représentant du souverain auquel le commandement suprême appartient. Il serait d’autant plus naturel d’établir quelque chose d’analogue en France que, loin d’être une innovation, ce partage d’attributions ne serait que le retour à un état de choses qui a déjà existé dans notre pays. Sous le directoire, sous le consulat et pendant les premières années de l’empire, il y avait tout à la fois le ministère de l’administration de la guerre, dont le titre fait connaître suffisamment le rôle, et le ministère de la guerre, chargé spécialement des opérations militaires, et dont le titulaire était Berthier. Ce second ministère subsista jusqu’à ce que Napoléon, voulant avoir auprès de lui, dans ses campagnes, le lieutenant qui avait toute sa confiance, réunit les deux administrations, mais en conservant à Berthier la plupart de ses attributions sous le titre de chef d’état-major-général. C’est l’organisation que la Prusse s’est appropriée, et nous ne ferions que la reprendre.

Rappelons enfin, pour épuiser la liste des réformes indispensables, si l’on veut prémunir le pouvoir législatif contre ses propres écarts, mettre fin aux abus de la faveur et préserver les finances d’un accroissement continu des dépenses inutiles, qu’il est nécessaire de régler par une loi l’organisation et les cadres de toutes les administrations, et surtout des administrations centrales ; de déterminer avec une précision qui ne sera jamais trop rigoureuse les conditions d’admission et d’avancement dans les services publics, et, par l’institution de sortes de conseils de discipline civils, d’élever une barrière contre les mises à la retraite et les révocations arbitraires. C’est à ces conditions seulement que la république actuelle ne rappellera plus les despotismes orientaux, et que ses ministres ne seront plus des pachas turcs au service des députés et des délateurs. Il faut que les fonctionnaires cessent d’être des parias, taillables et corvéables à merci, fixant sur la commission du budget des regards tremblans : il faut leur rendre la sécurité, condition essentielle de la dignité de la vie et de la moralité de la conduite ; il faut qu’ils n’attendent plus d’avancement que de leurs services et de disgrâce que de leurs fautes. Mais ces réformes qui nous mettront au niveau des pays libres ne se réaliseront qu’après que notre jeune démocratie aura subi le joug de la démagogie, et appris par cette dure épreuve la nécessité de se régler et de se modérer elle-même.

Cucheval-Clarigny.