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comme M. Say, M. Tirard, M. Sadi Carnot, se soient plaints que l’autorité ministérielle fût battue en brèche et ne trouvât appui nulle part, on voit des hommes politiques, comme M. Brisson, soutenir que le remède aux caprices et aux incohérences de l’action législative serait de l’endiguer dans de grands comités permanens, dont chacun aurait pour spécialité une branche de la législation et de l’administration. Il semble donc qu’on soit plus près de supprimer les ministres que de les rendre indépendans du parlement. Cependant, bien des esprits que la situation présente afflige et inquiète pour l’avenir de la démocratie, et qui appréhendent que la nation alarmée du désarroi de ses finances et lasse du gâchis où s’agite un gouvernement sans autorité et sans prestige, ne se rejette violemment vers le despotisme, se montrent de moins en moins éloignés du système américain. Ici même, un publiciste éminent, d’un libéralisme incontestable, M. de Laveleye, s’est déclaré partisan de cette réforme.

Pour notre part, nous sommes surtout frappé des inconvéniens que ce système présente pour l’expédition des affaires et même pour l’action législative. Nous croyons avoir établi, dans une étude sur la constitution américaine, que, si l’absence de contact entre les deux pouvoirs prévient les conflits, elle met un obstacle insurmontable à une coopération qui est indispensable pour faire aboutir les réformes demandées par l’opinion, pour réviser et améliorer les lois. Dans la pratique quotidienne, les deux pouvoirs, trop complètement séparés, s’isolent l’un de l’autre et se paralysent plus qu’ils ne s’entr’aident. Ces inconvéniens seraient atténués si, en continuant de soustraire les ministres à l’action du parlement et en les prenant hors de son sein, on leur laissait la faculté de prendre part aux délibérations des chambres et de défendre eux-mêmes les propositions du gouvernement ; mais cette combinaison aurait trop d’analogie avec la constitution du second empire pour ne pas rencontrer, dans un côté de l’opinion, d’insurmontables préventions. Nous croyons, d’ailleurs, que ni l’adoption pure et simple du système américain, ni son application mitigée, ne produiraient les effets qu’on en attend, si on laissait subsister notre centralisation exagérée et notre organisation administrative. Est-ce que la chambre n’en conserverait pas moins l’instrument de son despotisme, qui est la commission du budget, et l’arme dont celle-ci se sert, qui est la loi de finance ? Rappelons-nous un passé, encore bien rapproché de nous. Une faction acquiert la majorité au sein de la chambre ; elle s’empare de la commission du budget et s’y cantonne comme dans une forteresse. Le chef de cette faction se fait nommer président de la commission du budget : de ce jour, il de-