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voir et de passionner la foule, et la chambre pourrait régler sans opposition sérieuse les questions de politique générale dont les masses ne se préoccupent guère quand elles sont rassurées sur leurs intérêts. Mais dans un pays fortement centralisé comme le nôtre, où la tendance est d’accroître sans cesse les attributions du pouvoir et de faire pénétrer son action dans les détails les plus intimes de la vie, où l’on veut réglementer la famille, l’éducation et même la religion, où tout vient aboutir au parlement, qui doit donner le branle à la machine sociale, cette ingérence excessive et cette omnipotence d’une chambre lui créent une redoutable responsabilité. Il est de l’essence même des assemblées que les majorités y soient mobiles et variables : on peut donc tout espérer et tout craindre d’un déplacement de quelques voix ; et l’instabilité devient la condition commune des hommes et des choses. On a souvent fait valoir contre la constitution des États-Unis que l’administration peut être entièrement renouvelée, tous les quatre ans, à chaque changement de président : y a-t-il plus de stabilité avec la domination d’une assemblée ? Il est probable que le budget des cultes sera rétabli, comme l’ont été, une première fois, les crédits relatifs aux chanoines et aux facultés de théologie ; mais qui peut assurer que la commission n’aura pas gain de cause l’année prochaine ? Une autre majorité pourra ensuite remettre les choses en état. Il existe, au sein de la chambre actuelle, un groupe déjà fort nombreux qui veut rendre la magistrature élective : des élections générales peuvent le transformer en majorité, et voilà notre organisation judiciaire mise en péril jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle majorité. Cette inévitable et perpétuelle mobilité du pouvoir de qui tout dépend est une cause permanente d’inquiétude et de malaise : les intérêts s’étonnent et s’irritent de voir que tout peut sans cesse être remis en question. Que ceux qui poussent au développement du pouvoir parlementaire y prennent garde : ils pourraient bien faire les affaires du césarisme, en créant dans le pays un immense besoin de stabilité et de sécurité. Ne sont-ce pas des symptômes dignes de remarque que le soulagement éprouvé par la généralité du pays quand les chambres se séparent, et le réveil des inquiétudes aussitôt qu’elles se réunissent ?

Si le mal réside dans l’abus que la chambre a été irrésistiblement entraînée à faire des droits qui lui sont légitimement attribués, ne s’ensuit-il pas que le remède doive être cherché, soit dans une restriction des prérogatives législatives, soit dans l’établissement de quelque contrepoids effectif ? Ce contrepoids, la constitution helvétique et les constitutions cantonales l’ont trouvé dans l’institution du referendum ou appel au peuple, qui est de droit lorsqu’il est réclamé par un nombre déterminé de citoyens. Par le