Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/562

Cette page a été validée par deux contributeurs.

II.

Quelles peuvent être les conséquences de la prépotence abusive que la chambre s’est arrogée par des empiètemens successifs, et qui est exercée, pour les questions d’argent, par la commission du budget ? C’est un point sur lequel les partisans des institutions républicaines feront bien de fixer leur attention. La suprématie parlementaire recèle un danger qui commence à apparaître même aux yeux médiocrement clairvoyans. Les radicaux continuent de toutes leurs forces à battre en brèche la constitution actuelle, sans s’apercevoir qu’il n’en subsiste plus que les formes extérieures, car tous les contrepoids qu’ils repoussent comme autant d’entraves à l’exercice de la souveraineté populaire ont disparu avec l’indépendance réciproque des pouvoirs. Allons aux faits sans nous arrêter aux apparences ; interrogeons un fonctionnaire quelconque, il nous dira que ce sont les sous-commissions qui règlent presque souverainement les dépenses, et, par les dépenses, l’organisation intérieure des ministères et la marche de l’administration ; que le rapporteur habituel d’une sous-commission fait toujours plier l’autorité ministérielle, et que son patronage est plus précieux et plus puissant que celui du titulaire éphémère d’un portefeuille. De cette situation reconnue, avérée, à la suppression des ministres et à leur remplacement, par les délégués de la chambre, la distance est-elle si grande ? La présidence s’est annulée volontairement ; le sénat a montré qu’il était hors d’état de défendre même son propre mode de recrutement ; l’indépendance du pouvoir judiciaire a été brisée avec l’inamovibilité de la magistrature : qu’on se décide à mettre, quelque jour, les apparences d’accord avec la réalité qui nous étreint déjà, et voilà la France ramenée à l’administration directe du pays par des comités législatifs, c’est-à-dire au régime de la Convention, qui, pour beaucoup de républicains, représente seul la vérité d’un gouvernement démocratique.

Qui peut se faire illusion sur les chances de durée d’un pareil régime dans notre pays ? Si la France, protégée par de fortes barrières comme l’Angleterre ou l’Espagne, ou entourée de voisins faibles et paisibles, n’avait point à se préoccuper de sa sécurité extérieure, si la vie communale et départementale était chez nous aussi intense et aussi active qu’elle est inerte et paralysée, si les affaires locales se réglaient sur place par l’intervention des seuls intéressés, comme dans les cantons suisses ou les états de la confédération américaine, l’attention des citoyens se détournerait assez facilement du pouvoir central. Les questions d’impôts auraient seules le privilège d’émou-