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trations. Nous l’avons dit ici même : le ministre des finances est responsable de l’équilibre entre les recettes et les dépenses ; c’est lui qui semble avoir pour tâche spéciale d’assurer cet équilibre, et maintenant c’est lui qui a la moindre part à l’établissement de la loi de finance. Il ne fait qu’en réunir les matériaux et la préparer : elle lui est aussitôt enlevée par la chambre, qui en fait son œuvre propre et prétend en régler les moindres détails par l’entremise de sa commission. Appelé à présider cette commission, M. Rouvier, à son entrée en fonction, en mars 1884, disait à ses collègues, pour faire ressortir l’importance de leur rôle commun : « La commission a la mission, toujours délicate, d’établir le budget de l’état, d’en assurer la sincérité, d’en régler l’équilibre. » Si telle était la tâche de la commission, quelle était donc celle du ministre des finances et du gouvernement ? M. Rouvier ajoutait immédiatement : « La commission sera toujours dominée par cette double préoccupation d’établir un budget permettant de faire face à toutes les obligations d’une grande démocratie libre et de ménager les ressources du pays. » Il ne s’agit point, on le voit, de contrôler les calculs du gouvernement, d’apprécier ses propositions et de vérifier si l’équilibre nécessaire existe réellement ; il s’agit d’improviser une œuvre propre à la commission et de faire de toutes pièces la loi de finance, comme si le budget présenté par le gouvernement n’existait pas ou n’était qu’un simple canevas destiné à servir de cadre aux études et aux décisions des commissaires. M. Rouvier ne limitait même pas les attributions de ses collègues à l’établissement du budget ordinaire, il faisait encore rentrer dans leur mandat la tâche de « rechercher le meilleur moyen financier de faire face au budget extraordinaire. » On ne saurait concevoir une main-mise plus complète sur les finances du pays. Si ce n’est plus au gouvernement à discerner entre les dépenses indispensables et les dépenses susceptibles de restriction ou d’ajournement, à déterminer les besoins des services, à chercher et à trouver les ressources, ou si ses propositions peuvent être remaniées et bouleversées de fond en comble, que reste-t-il à faire au ministre des finances, sinon de se croiser les bras et de laisser agir les députés qui l’ont dépouillé de ses attributions ?

La commission du budget est donc maîtresse des finances, et, par la crainte des mutilations qu’elle peut faire subir aux propositions ministérielles, elle est maîtresse de tous les ministères. L’influence d’un député se trouve décuplée lorsqu’il est membre de cette commission omnipotente. Aussi, l’ambition de tous les députés qui aspirent à jouer un rôle, ou qui ont un grand nombre de cliens sur les bras, est-elle d’en faire partie. Pour y arriver, on se