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qui vaut mieux que toutes les habitations de la terre ? » Cicéron était bien malheureux alors : il venait de perdre sa fille qu’il adorait ; il assistait à la ruine du régime politique qu’il avait servi ; n’étant plus jeune et n’ayant plus le droit de compter sur l’avenir, il lui fallait mettre son espérance ailleurs ; aussi, quand il comparait les misères de la vie terrestre aux consolations que l’autre peut donner, sa parole devait-elle avoir des accens personnels et pénétrans. Augustin en fut touché jusqu’au fond de l’âme. Il nous le dit aussi bien dans ses Confessions que dans ses ouvrages antérieurs ; mais ici déjà la différence des temps et des situations se montre. Devenu chrétien fervent, à l’époque où il écrivait ses Confessions, il lui répugnait d’avouer que sa conversion avait commencé par la lecture d’un auteur profane. Il s’en est vengé en maltraitant celui qui lui avait pourtant rendu un si grand service. « c’est un certain Cicéron, dit-il, dont on loue beaucoup plus l’esprit que le cœur. » L’injustice est criante ; mais il parle autrement dans ses Dialogues ; là, Cicéron est un grand homme, un sage dont on ne cite le nom qu’avec respect. Il le nomme : « notre ami Tullius ; » il rappelle qu’avant lui il n’y avait pas de philosophie romaine, et qu’il l’a du premier coup portée à sa perfection : a quo in latina lingua philosophia inchoata est et perfecta : ce sont là, soyons-en sûrs, les sentimens véritables que lui laissa la lecture de l’Hortensius.

Le voilà donc, à ce qu’il semble, conquis à la philosophie ; il ne lui reste plus qu’à marcher dans la voie que l’Hortensius lui a ouverte, à passer de l’étude de Cicéron à celle des sages de la Grèce, qui furent ses maîtres, à tirer une doctrine de leurs ouvrages et à y conformer sa vie. Ce n’est pas pourtant ce qui arriva. Un premier élan l’avait porté vers les philosophes, un second l’entraîna plus loin. L’Hortensius, sans qu’il s’en aperçût peut-être, ranima dans son âme de plus anciens souvenirs qui n’y étaient qu’assoupis. Monique aussi lui parlait autrefois de la vie éternelle, mais d’une manière bien différente ; et quand il songeait aux peintures merveilleuses qu’elle lui en avait faites, et qui ravissaient sa jeunesse, toutes ces espérances d’immortalité, si incertaines et si froides, que les sages proposaient à l’homme, ne le contentaient plus. À mesure que se réveillaient en lui les émotions pieuses de ses premières années, les systèmes des philosophes lui semblaient vides et incomplets. « Il y manquait, nous dit-il, le nom du Christ, ce nom que j’avais puise avec le fait sur les genoux de ma mère, et que je gardais au fond de mon cœur ; et je compris que toute doctrine où ce nom ne serait pas, quelque vérité qu’elle contînt, avec quelque élégance qu’elle fût exposée, ne pourrait jamais me satisfaire. »