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membres du comité de salut public, les anciens proscripteurs et les anciens proscrits, les pourvoyeurs de Sinnamari et les revenans de la Guyane, Treilhard et Merlin de Douai, à côté de Siméon, Portalis et Barbé-Marbois. Personne, dans ce conclave, pour soutenir le droit des corps spontanés : des trois côtés, la théorie, quelle que fût sa provenance, refusait de les reconnaître pour ce qu’ils sont originellement et par essence, c’est-à-dire pour des organes distincts, aussi naturels que l’état, aussi indispensables dans leur genre, partant aussi légitimes que lui ; elle ne leur laissait qu’un être d’emprunt, dérivé d’en haut et du centre. Mais, puisque l’état les créait, il pouvait et devait les traiter en créatures, garder indéfiniment sa main sur eux, les employer à ses desseins, agir par eux comme par ses autres agens, et transformer leurs chefs en fonctionnaires du pouvoir central.


III.

Une France nouvelle, non pas la France chimérique, communiste, égalitaire et Spartiate de Robespierre et de Saint-Just, mais une France possible, réelle, durable, et pourtant nivelée, uniforme, fabriquée logiquement tout d’une pièce, d’après un principe général et simple, une France centralisée, administrative, et, sauf le petit jeu égoïste des vies individuelles, manœuvrée tout entière du haut en bas ; bref, la France que Richelieu et Louis XIV auraient souhaitée, celle que Mirabeau, dès 1790, avait prévue[1], voilà l’œuvre

  1. Correspondance de Mirabeau et du comte de La Marck, II, 74. (Lettre du Mirabeau au roi, 3 juillet 1790) : « Comparez le nouvel état des choses avec l’ancien régime… Une partie des actes de l’assemblée nationale (et c’est la plus considérable) est évidemment favorable au gouvernement monarchique. N’est-ce donc rien que d’être sans parlemens, sans pays d’états, sans corps de privilégiés, de clergé, de noblesse ? L’idée de ne former qu’une classe de citoyens aurait plu à Richelieu : cette surface égale facilite l’exercice du pouvoir. Plusieurs règnes d’un gouvernement absolu n’auraient pas fait autant que cette seule année de révolution pour l’autorité royale. » — Sainte-Beuve, Port-Royal, V, 25. (Paroles de M. de Harlay à la supérieure de Port-Royal) : « On parle toujours de Port-Royal, de ces messieurs de Port-Royal : le roi n’aime pas ce qui fait du bruit. Il a fait dire, depuis peu, à M. Arnaud, qu’il ne trouvait pas bon qu’on fit chez lui des assemblées ; qu’on ne trouve pas mauvais qu’il voie toutes sortes de personnes indifféremment, comme tout le monde ; mais à quoi bon que certaines gens se rencontrent toujours chez lui, et qu’il y ait tant de liaison entre ces messieurs ?.. Le roi ne veut pas de ralliement : un corps sans tête est toujours dangereux dans un état. » — Ibid., p. 33 : « Cette maison avait trop de réputation ; on se pressait d’y mettre des enfans ; des personnes de qualité lui en donnaient ; on se dirait les uns aux autres la satisfaction qu’on en avait. Cela leur faisait des amis, qui s’unissaient avec ceux de cette maison, et qui faisaient ensemble des pelotons contre l’état. Le roi n’a pas agréé cela : il croit que ces unions sont dangereuses dans un état. »