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une position singulièrement forte, un ascendant croissant en Orient. Elle est campée dans la Bosnie et l’Herzégovine, où elle n’a, il est vrai, qu’un droit limité d’occupation, mais où elle gouverne et administre comme mandataire du traité de Berlin. Elle règne plus ou moins en Serbie, à Belgrade, où la crise ministérielle, qui a récemment décidé la chute de M. Ristitch favorable à la Russie, n’est sans doute qu’un épisode de la lutte engagée aujourd’hui en Orient. Elle ne cache pas en même temps ses sympathies pour tout ce qui peut détacher les régions des Balkans de la Russie. L’Autriche, en un mot, marche de toutes parts, et elle poursuit sa politique avec d’autant plus de fixité qu’elle se sent appuyée depuis quelque temps par cette triple alliance, qui n’était peut-être pas dirigée d’abord contre la Russie, mais qui devient une menace pour elle aujourd’hui. De sorte qu’on est positivement en présence, et ce qui se passe sur les frontières de Pologne n’est que la suite ou l’extension du grand conflit des influences en Orient. C’est là toute la question.

Une transaction n’est point sans doute impossible : tout dépend de ce qui pourra être fait en Bulgarie, à Sofia, où la frêle couronne du prince Ferdinand risque fort de disparaître. S’il y a des négociations, elles sont certes suivies discrètement. La Russie paraît encore se réserver et se défendre de dire comment elle entend le rétablissement d’un ordre régulier à Sofia, ce qui serait une satisfaction pour elle. L’Autriche semble maintenir provisoirement sa position et sa politique. La Porte, qui pourrait être appelée à intervenir comme suzeraine, n’interviendra sûrement qu’avec l’assentiment de toutes les puissances. Il reste toujours à savoir quel est le rôle précis de M. de Bismarck dans tout cela, entre la Russie qu’il tient évidemment à ménager, et ses confédérés de la triple alliance, qui peuvent être engagés plus qu’on ne le voudrait à Berlin. Quelle est la pensée réelle du chancelier? S’il le veut comme il sait vouloir, il est assurément l’homme le mieux placé pour conduire cette négociation épineuse, — à moins que, dans l’intervalle, ne surviennent les incidens et l’imprévu qui confondent toutes les habiletés ou sont quelquefois les auxiliaires des politiques dans l’embarras.

Des incidens, ils naissent à tout propos et de toutes parts. Qui aurait dit il y a quelques jours, au moment où la France et l’Italie entraient en négociations pour un traité de commerce, qu’un incident nouveau, au moins bizarre, allait se produire entre les deux pays? C’est pourtant ce qui est arrivé. Un préteur ou juge de paix de Florence a tout dernièrement envahi d’autorité le consulat français, sous prétexte de saisir des papiers relatifs à la succession d’un riche Tunisien, Hussein-Pacha, qui aurait été l’objet d’une opposition de la part d’un créancier. Il a fait son expédition à main armée, accompagné de