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selon toute apparence, il durera : il est deux fois humain ! Il est marqué d’un caractère de vérité, d’un caractère de charité.

Une telle abondance, une telle qualité de substance morale, pouvait-on espérer de les transporter sans perte et sans dommage au théâtre? M. Dumas, sans doute, ne l’a pas pensé. A moins de montrer Pierre Clemenceau


Enfant au premier acte et barbon au dernier,


on laisserait dans l’ombre la cause, la première cause à laquelle toute la chaîne des autres était suspendue : son éducation. D’autre part, après sa première rencontre avec Iza et jusqu’à leur mariage, par quel sortilège rendre lisible, au feu de la rampe, le mystérieux tracé des progrès de leur amour? Comment surtout faire apparaître à cette lumière le travail de leur mutuelle dépravation? Enfin, après que l’homme a rejeté la femme, après que l’artiste a fui son modèle, comment révéler sur la scène la trépidation stérile de ses nerfs et le vide affreux de son cerveau? S’il ne se fût agi que des défenses opposées par la pudeur publique, j’imagine que M. Dumas, la sachant variable et la tenant pour suspecte, eût risqué une bravade; et peut-être il eût maté son adversaire. Mais les moyens faisaient défaut à l’art dramatique pour pousser le sujet jusqu’à cette perfection où le roman avait pu atteindre. Il y a tel ordre de phénomènes qui se laissent expliquer et ne se montrent pas; celui-ci est du nombre : le goût d’un épidémie pour un autre. On a fait l’expérience de cette vérité, au moins deux fois dans ces derniers temps, avec la Glu, avec Sapho : la plus subtile essence de l’œuvre de M. Richepin et de celle de M. Daudet s’est évaporée dans le passage du livre au théâtre. M. Dumas ne s’est pas soucié de décanter lui-même le jus précieux de sa vigne.

Mais un homme de bonne volonté s’est trouvé pour tirer de ce parfait roman le drame imparfait que négligeait le propriétaire, et c’est tant mieux; ce qui demeure de l’ouvrage primitif et ce qu’on en devine, c’est assez pour émouvoir plus vivement, plus noblement que ne font beaucoup de pièces toutes neuves: un peu d’humanité y palpite encore. Que dis-je, un peu! Au cœur de l’ouvrage, voici un morceau de réalité bien crue et bien vive : le ménage bohème d’Iza et de sa mère. A la fin, ramassée dans une scène où s’est marquée la griffe du maître, voici toute une tragédie, la plus rare à la fois et la plus vraisemblable, et la plus poignante : le duel suprême de l’homme et de la femme, de l’ange transformé en bête et de l’autre bête, que la première dévore!

Deux tableaux, pour commencer, — une scène d’atelier et le bal costumé, — se développent avec lenteur; mieux eût valu les réduire à