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soi qu’il faut s’enfermer et soi seul qu’il faut étudier. Moins nous nous ressemblons, plus il nous est difficile d’entrer dans l’âme des autres, il n’y a presque plus de commune mesure, et comme d’ailleurs la connaissance de l’homme ne laisse pas d’être toujours ce qu’il y a d’important pour l’homme, nous n’y réussirons qu’en nous confessant nous-mêmes et en invitant les autres à en faire autant.

Une confession ou une expression sincère de soi-même, tel sera donc désormais l’objet de quiconque écrira. Nous connaissons assez l’homme général, et si nous ne le connaissons pas, nous n’avons qu’à ouvrir un traité de psychologie: il y est dépeint graphiquement, comme disait Molière, graphice depictus, avec ses facultés et leurs sous-facultés, et les subdivisions de ces sous-facultés. Mais ce que nous ignorons, c’est l’homme particulier, c’est l’individu, et nous ne le connaîtrons jamais que par lui-même. Chantez donc vos amours, ô poètes, et racontez-nous vos aventures, ô romanciers. Mettez votre personne dans vos œuvres, et avec votre personne votre conception de la vie, non pas celle que vous avez reçue de la tradition ou empruntée des modèles, mais celle que vous vous êtes faite à vous-même, ou plutôt encore celle que l’expérience vous a imposée d’elle-même. Vivez, puisque l’on ne veut plus rien aujourd’hui que de vécu et qu’il n’y a plus que cela qui semble devoir vous survivre. Vous serez toujours intéressant si vous êtes sincère, et vous serez toujours assez sincère, si vous ne vous préoccupez que de l’être. Car il n’y a pas de combinaison romanesque si savamment et longuement préparée que la réalité ne vous en offre qui la surpasse ; il n’y a pas d’intrigue imaginée par un dramaturge qui vaille la tragédie ou le vaudeville de la vie; et il n’y a pas d’œuvre enfin qui vaille la simple confession d’une âme.


IV.

Reste à savoir à quelles conditions. C’est d’abord qu’on ne se fera point comme Baudelaire, par exemple, une originalité prétentieuse, laborieuse et menteuse, qui ne consiste guère, déjà chez lui, mais surtout chez ses imitateurs ou ses écoliers, qu’à prendre le contre-pied des opinions communément rétines. On ne s’efforcera pas, si l’on ressemble aux autres, d’en différer, et encore moins de différer tous les jours de soi-même. Ce serait vraiment trop facile, et l’on étonnerait ses contemporains à trop bon marché. Là est l’un des grands dangers de la littérature personnelle. Dans un genre qui, comme nous le disions, ne saurait avoir que sa sincérité pour excuse de son impertinence, on se préoccupe aujourd’hui beaucoup trop des moyens de