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le Chott, où quelques-uns demeurèrent enlisés ; les autres suivirent de puits en puits à travers le désert la smala de l’émir, qui, chassée de Takdemt, s’éloignait dans l’est.

Quant à l’émir lui-même, il était avec Ben-Tami et 800 cavaliers chez les Flitta, d’où il menaçait les tribus du bas Chélif ; mais une colonne sortie de Mostaganem le tenait en respect. Sur ces nouvelles, La Moricière ne fit que toucher barre à Mascara, le 17 juin, et courut chez les Flitta, pendant que son insaisissable et rapide adversaire se dérobait avec 300 chevaux, faisait le grand tour par Frenda et la lisière du Tell, reparaissait dans la plaine d’Eghris, tentait vainement d’enlever les Hachem-Gharaba, qui, pour la première fois, lui refusèrent obéissance, et s’enfonçait derechef dans le sud.

Les Flitta payèrent pour lui. Du 22 juin au 6 juillet, La Moricière moissonna leurs champs ; puis, quand il sut que le général d’Arbouville, revenu de l’expédition du Chélif à Mostaganem, était en mesure de protéger les tribus soumises, il se mit résolument à la recherche de l’émir et de la smala. Pour arriver à trouver la piste, il fallait s’assurer la connivence d’une grande tribu nomade, les Harar, dont le parcours s’étendait à travers les Hauts-Plateaux sur un immense espace, depuis le Chott-el-Chergui jusqu’au Sersou. Ces pillards se laissèrent séduire par l’attrait du butin.

Quand ils eurent promis leur concours, la colonne se mit en marche par Tiaret ; au moment de quitter le Tell, chaque homme dut se faire un fagot de bois pour trois jours. Le Nahr-Ouassel était à sec; l’Oued-Sousellem, au sud du Sersou, n’avait pas d’eau davantage ; mais on trouva des sources connues des guides. Pendant la traversée du plateau, les Harar rejoignirent au nombre de 1,500 cavaliers, suivis de 4,000 chameaux.

Le 14 au matin, la colonne fit halte chez les Ouled-Khélif, dans une gorge au pied d’un rocher à pic, au sommet duquel on apercevait quelques masures. C’était Goudjila : un nid d’aigle. Abd-el-Kader y avait transporté les restes de ses arsenaux ; on y trouva des outils, des armes, des munitions, des tentes. Pendant que le maghzen de Moustafa-ben-IsmaïI, les goums et les Harar vidaient à qui mieux mieux les silos des Ouled-Khélif: « Je montai, dit La Moricière, au sommet du rocher de difficile accès où sont bâties les deux ou trois cents baraques qui composent Goudjila. De là, mes guides me firent voir, à 12 ou 15 lieues, le Djebel-Sahari, au pied duquel coule l’Oued-Taguine, où avait fui devant nous toute l’émigration. Cette rivière, en ce moment de l’année, devait être à peu près à sec ; la terre, à perte de vue, était nue et aride. Le pays était encore tout ému du beau combat de cavalerie et de l’immense razzia du général Changarnier. On nous montrait à 8 ou 10 lieues la