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ni de ses khalifas, car elle lui était venue de Paris et des bureaux de la guerre. On avait imaginé là que ce maréchal de camp, si jeune d’âge et de grade, exerçait un bien gros commandement, et qu’il serait convenable de lui superposer un lieutenant-général. Le gouverneur n’était pas toujours d’accord avec La Moricière ; il lui reprochait d’être discuteur, ergoteur, faiseur de projets, enclin parfois à l’indépendance, mais il le savait dévoué à l’œuvre, vaillant, infatigable. Il prit feu pour lui et répondit chaleureusement au ministre : « Dans le cadre des lieutenans-généraux trouverait-on un officier de plus de valeur ? Pourquoi donc décourager un maréchal de camp d’un très grand mérite, connaissant le pays, les hommes et les choses, très capable de donner la direction générale et parfaitement accepté comme supérieur par les maréchaux de camp Bedeau et d’Arbouville? » Sa conclusion était nette : « Si l’on veut un lieutenant-général, il y a un moyen, sans rien troubler, c’est de conférer ce grade à M. de La Moricière. » Le grade ne fut pas conféré, mais on n’envoya pas de lieutenant-général.

Quand le général d’Arbouville, appelé à commander, sous le gouverneur, la colonne expéditionnaire du Chélif, avait quitté Mascara, au mois de mai, il y avait laissé le capitaine Bosquet avec son bataillon turc, lequel allait passer du service nominal du bey de Mostaganem au service effectif de la France, et devenir le bataillon de tirailleurs indigènes de la province d’Oran. Très apprécié de La Moricière, le commandant Bosquet, — car il eut bientôt le grade, — devint un de ses plus utiles et plus zélés auxiliaires ; la connaissance qu’il avait de la langue et des mœurs arabes était un avantage dont trois ou quatre officiers seulement pouvaient lui disputer le mérite. A peine revenu d’Oran à Mascara, le 10 mai, avec sa division refaite, La Moricière en était parti, le 15, à la recherche d’Abd-el-Kader, qui était signalé aux environs de Takdemt, dont il avait essayé de réparer les brèches. Comme le gouverneur avait emmené sur le Chélif les chasseurs d’Afrique et la plupart des spahis, la cavalerie du général se réduisait à 270 chevaux, mais il avait 2,200 baïonnettes d’une infanterie excellente.

Le 22, à une marche de Takdemt, il rencontra une troupe de Hachem qu’il mit facilement en déroute. Dans ce petit combat, où l’ennemi ne perdit qu’une dizaine d’hommes, on reconnut parmi les morts un cavalier rouge du nom d’Aouimeur. C’était un jeune homme de vingt-deux ans et de belle mine. On l’avait vu souvent à Mascara, l’hiver précédent, apporter des lettres du lieutenant de Mirandol, qui n’était pas encore sorti de captivité. Une fois entre autres qu’il était venu avec l’agha des réguliers Ben-Rebah, La Moricière les avait pressés l’un et l’autre d’abandonner le service de l’émir, et comme ils s’étaient récriés avec indignation : « Eh bien !