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et il est permis de croire que le terrible châtiment qui a produit la soumission des montagnards de l’ouest rendra facile la soumission de ceux de l’est. Alors, monsieur le maréchal, nous aurons autour de la Métidja l’obstacle continu qui convient à une grande nation comme la nôtre. Les Kabyles qui sont soumis par la force de nos armes, et qui sont réputés plus fidèles à leur parole que les Arabes, ne permettront pas aux cavaliers des plaines de franchir leurs montagnes. Ils garderont longtemps le souvenir de la rude guerre que nous leur avons faite, et cette pensée gardera mieux la Métidja qu’un misérable fossé garni de blockhaus. »

Cet « obstacle continu, » ce misérable fossé dont le général Bugeaud parlait avec tant d’irrévérence, n’était pourtant rien de moins, si la métaphore est permise, que le dernier retranchement, le réduit des derniers partisans de l’occupation restreinte. L’auteur de cette conception était un vétéran de l’empire, le général Rogniat. C’était bien, de son propre aveu, « la muraille de la Chine » qu’il proposait d’opposer, autour de la Métidja, aux déprédations des Arabes. Un officier du génie comme lui, le général de Berthois, aide-de-camp du roi et membre de la chambre des députés, s’était chargé d’appliquer ses principes ; seulement, au lieu de les étendre à la Métidja tout entière, il les avait restreints dans les limites d’un triangle qui, ayant la mer pour base, allait de Koléa à Blida et de Blida à l’embouchure de l’Harrach. Cette ligne, d’un développement de 7 lieues à l’ouest et de 12 à l’est, devait être tracée par un fossé continu infranchissable, appuyé de 160 blockhaus ! Les travaux avaient été entrepris sur la face occidentale. Sans s’y être formellement opposé d’abord, le général Bugeaud n’avait cependant pas ménagé ses critiques. Le 7 décembre 1841, il avait écrit au maréchal Soult : « j’ai calculé qu’en été, quatre régimens ne suffiraient pas à la garde de l’obstacle, et qu’il donnerait pendant cinq mois 7,000 ou 8,000 malades. Dès lors, plus de guerre possible au dehors ; il faut enlever la garnison de Médéa et de Miliana et se replier derrière l’enceinte pestilentielle. L’armée aura ainsi creusé elle-même son tombeau. » Les soumissions des Mouzaïa, Soumata et autres vinrent heureusement porter le dernier coup à cette invention malencontreuse ; le fossé déjà creusé fut employé en certains endroits au drainage des terres humides, et ce fut le plus grand service qu’il put rendre. Ainsi échoua dans une tentative presque ridicule le suprême effort de l’occupation restreinte.

Détournées de ce fastidieux travail, les troupes s’employèrent à une œuvre autrement sérieuse, difficile et grande : en cinq mois, elles ouvrirent, à travers les gorges de la Chiffa, où ne s’étaient jamais aventurés Arabes ni Kabyles, cette belle et pittoresque route