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ne s’attendaient certes pas à pareille visite, ils ne s’étaient point préparés pour la résistance ; on fit ce jour-là 150 prisonniers, presque tous riches émigrés de Miliana et de Cherchel. « La Suisse n’est rien, écrit le lieutenant-colonel de Saint-Arnaud; l’armée marche un par un, bêtes, gens et bestiaux, chaque homme tirant son cheval par la figure. L’avant-garde part à quatre heures du matin et l’arrière-garde arrive au bivouac à six heures du soir, et tout cela pour faire deux ou trois lieues. On ravage, on brûle, on pille, on détruit les moissons et les arbres. De combats, peu ou pas ; quelques centaines de misérables tiraillant avec l’arrière-garde, blessant quelques hommes, coupant la tête aux traînards et aux maraudeurs qui s’avancent seuls et trop loin. »

Le 3, par une rampe de 18 kilomètres, la colonne s’éleva au sommet du Mahali; de là, elle dominait la haute mer et le chaos des montagnes, de Cherchel à Tenès; le coup d’œil était magnifique. Cependant l’appel aux armes avait été fait dans tout le pays, et les Beni-Menacer étaient accourus. Quand, le lendemain, la colonne évacua le bivouac du Mahali, le 6e bataillon de chasseurs, qui faisait l’arrière-garde, eut à repousser une vive attaque; le commandant Forey et l’adjudant-major Canrobert s’y firent particulièrement remarquer. Le 5, nouveau combat, nouveau succès, où l’adjudant-major d’Aurelles de Paladines, du 64e fut cité à l’ordre. Le 6, au sortir des montagnes, le bivouac fut pris sur l’Oued-Hachem ; le 7, sur la Bou-Bkika ; le 8, sur l’Oued-Djer.

Le général Bugeaud, de son côté, avait atteint le col de Mouzaïa, n’ayant eu qu’à moissonner les champs des Beni-Zoug-Zoug, de sorte qu’il avait pu enrichir les magasins de Miliana de 18,000 rations de paille et de 6,000 rations d’orge. Le 9, les deux divisions commençaient à se jeter de concert sur les Beni-Menad, les Bou-Halouane et les Soumata, quand elles furent arrêtées par la soumission de ces tribus. L’exemple avait été donné la veille par les Mouzaïa; il fut suivi le même soir par les Beni-Sala, et, deux jours après, par les Hadjoutes même. Les Hadjoutes soumis ! n’est-ce pas tout dire? C’était l’apparition de ces 2,000 ou 3,000 cavaliers arabes, venus depuis le beylik d’Oran à la suite des Français, qui, la force aidant, avait opéré tous ces miracles.

Le succès était considérable, et le général Bugeaud s’en applaudissait très justement. « Ce grand événement, écrivait-il au maréchal Soult, ouvre nos communications avec Médéa et Miliana; il ne faudra plus de grosses colonnes pour escorter nos convois, et j’ai lieu d’espérer que l’approvisionnement de ces places sera fait bientôt, en partie, par les indigènes eux-mêmes et sans escorte. Je tournerai alors mes regards vers l’autre quart de cercle des montagnes que forme l’Atlas, depuis les Beni-Sala jusqu’à l’embouchure de l’Isser,